Avant la maitrise des cultures de cellules, dans les années 60, les virologues étaient obligés de faire un isolement directement à partir du sang ou des tissus d’individus ou d’animaux. On filtrait le sang ou les tissus, et on voyait si on trouvait des particules de la taille des virus (taille inférieure à 200 nm). Déjà, la technique n’était pas valable pour dire qu’on avait isolé un virus, puisque, sans culture, on ne pouvait pas prouver que les particules identifiées se reproduisaient. Donc, la culture de cellules a été un progrès à ce niveau là (ça veut dire aussi qu’avant les années 60, aucun des soi-disant isolements n’en est réellement un). Mais à mon avis, elle a permis aussi de résoudre un problème important qui se posait avec l’isolement direct. Ce problème se pose toujours en fait, mais il est moins visible.
I) Le problème de l’isolement viral sans utilisation de culture de cellules
A mon avis, le problème, avec la technique précédente, c’est qu’il y a des zones du corps qui sont constituées de matière visqueuse. Donc, les particules restent collées les unes aux autres, ou alors restent collées à la matière visqueuse. Tout ce qu’il y a dans la solution fait plus de 200 nm (la taille maximum pour les particules virales). Et du coup, lors du filtrage réalisé par les virologues, il n’y a aucune particule en dessous de 200 nm ; bref, pas de particule de taille virale. Donc, quand on veut isoler un virus à partir d’une zone constituée de ce genre de matière, on ne trouve souvent rien. C’est ce qui fait que de nombreux virologues ont eu des problèmes pour isoler certains virus à partir du filtrage directe des tissus de patients. Eh oui, c’est sur qu’ils n’avaient pas pensé à ça.
Exemple : le virus de la polio, ou le virus du VIH. Le premier était issu de la moelle épinière, une matière a priori assez collante. Le deuxième était issu des ganglions. Là aussi, un endroit rempli de matière collante. Pour le premier, il a fallu truander, et donc utiliser, comme on l’a vu, des matières fécales diluées pour trouver un virus. Les matières fécales sont une matière assez pulvérulante quand elles sont mises dans de l’eau. Et pour le deuxième, le VIH, on a du faire une culture de cellule pour en trouver. A partir des tissus des patients (pris dans les ganglions), c’était la croix et la bannière (dixit Montagnier, le découvreur du virus).
Le cas des virus oncogènes relève probablement aussi de cette problématique, même si à première vue, ce n’est pas évident. Ce qui se passe, c’est qu’on les a trouvés chez des souris. Il se trouve que les chairs des souris réagissent violemment à une injection et ont tendance à développer une tumeur au point d’injection, quelque soit le produit injecté. Les tumeurs en question se développent rapidement. Donc, il s’agit de tissus irrités, qui doivent contenir beaucoup de débris cellulaires.
Mais on n’a pas trouvé de virus oncogènes chez les êtres humains (à part une simple corrélation dans un ou deux cas). Pourquoi ? Parce que, chez les humains, les tumeurs en question sont la plupart du temps à developpement beaucoup plus lent. Donc, des tumeurs qui ne sont pas liées à une forte inflammation, ou alors, à une inflammation par à coup. Bref, la plupart du temps, il y a peu de débris cellulaires. Donc, c’est beaucoup plus difficile d’en trouver beaucoup dans ces zones là. Sauf en cas de développement très rapide de la tumeur. Mais c’est rare. Donc, avec les expériences sur les souris, on s’est complètement excité sur la présence de virus oncogènes. Mais dès qu’on a voulu tester sur des être plus gros, ça a été l’échec.
Donc, on comprend pourquoi les virologues ont eu plein de problèmes pour isoler certains virus. Pour utiliser une analogie : si on veut tamiser du sable qui est pris dans de la mélasse, forcément, on ne va rien obtenir.
II) Problème en partie résolu par l’isolement viral avec culture de cellules
La culture de cellules permet de s’affranchir de ce problème. En effet, déjà, elle n’est pas réalisée dans un environnement visqueux. Par ailleurs, elle est réalisée avec des cellules cancérisées, qui se divisent à l’infini, et qui sont en plus stimulées avec des produits comme la cortisone. Donc, il va y avoir production de plein de débris cellulaires consécutive à la division et à la stimulation des cellules. Et en plus, on utilise des antibiotiques. Or, comme on l’a vu, ceux-ci vont avoir tendance à désagréger les particules présentes. Donc forcément, on obtient beaucoup plus facilement des tas de petites particules avec cette méthode ; petites particules qui vont être considérées comme des virus.
Par contre, ça peut être éventuellement l’inverse si les tissus à partir desquels est isolé le virus ne sont pas spécialement constitués de matière collante et que quand on isole le virus, il y a plein de débris cellulaires dans les tissus analysés. Et dans certains cas, le sang peut lui aussi contenir pas mal de débris cellulaires (s’il a été soumis précédemment à un antibiotique ou autre médicaments désagrégateur de cellules). Donc, dans ce cas, vu qu’il y a beaucoup de matière disponible, en filtrant suffisamment finement, on va trouver beaucoup de particules de même taille et de même forme dans la purification directe. Tandis que la culture de cellules va peut-être permettre d’en isoler moins. On peut penser que la culture de cellule permet d’obtenir seulement une quantité moyenne de particules virale.
Par exemple, prenons un chiffre au hasard : la culture de cellules va donner en général dans les 100 particules de taille virale par ml. Tandis que quand il y a beaucoup de matériel « viral » dans le sang ou les tissus, on va obtenir 400 particules par ml. Donc quand il n’y a rien dans la purification directe, on peut obtenir au moins quelque chose dans la purification issue de culture. Mais quand il y a beaucoup de particules dans la purification directe, on a moins de particules avec la culture.
Cela dit, la possibilité d’isoler le virus directement à partir des tissus ou du sang d’individus malades reste relativement importante. Si on n’y arrive pas, on prête le flanc à la critique (comme pour l’isolement du VIH). Mais dans le cas où les virologues n’y arrivent pas, ils peuvent quand même se rabattre sur la culture cellulaire pour dire qu’ils ont obtenu quelque chose. Ils ne se retrouvent pas gros Jean comme devant avec rien du tout à présenter. Il faut juste qu’il n’y ait pas de dissidents qui viennent souligner l’absence de virus obtenus avec isolement directe.
Et puis, en analysant les 3 cas précédents, on s’aperçoit que pour 2 d’entre eux, soit on avait déjà trouvé une truande pour isoler quand même quelque chose (c’est le cas de la Polio, déjà traité dans un autre article), soit cet avantage de la culture cellulaire n’a pas été utilisé (cas des virus oncogènes. On a finit par dire que les cancers n’étaient pas causée par des virus). Il n’y a que pour le VIH que ce truc a été utilisé. Bien sur, ça ne veut pas dire que cette proportion de 2 pour 3 se retrouverait en analysant plus de virus, mais ça veut dire qu’il est possible, soit d’utiliser d’autres biais, soit de ne pas faire prévaloir les résultats obtenus avec cette technique sur les résultats obtenus avec un isolement fait directement à partir du sang d’un patient (et donc, renoncer à l’hypothèse viral dans ce cas).
Mais bon, même si cet avantage n’a pas été utilisé à chaque fois et qu’il y avait déjà des méthodes de truandes pour contourner les problèmes rencontrés avec la technique directe, la culture de cellules a été une heureuse innovation pour les virologues. Sans ça, ça aurait continué à être la galère pour isoler un bon nombre de virus.