La tuberculose n’est pas une maladie microbienne (partie 2)

 

4) Les anciens traitements de la tuberculose

 

Bien sur, puisque la tuberculose n’est pas une maladie microbienne, ce sont les traitements qui tuaient les patients. Les conditions de vie ou l’utilisation d’opiacés (avant traitement) étaient parfois la cause directe de la mort. Mais la plupart du temps, ça devait être le traitement qui le faisait, ou alors qui donnait le coup de grâce. Vu les produits et les méthodes utilisés à l’époque ça n’a rien d’étonnant.

L’analyse de la chose se révèle un peu plus compliquée que prévu. Il y avait déjà une médecine officielle au 19ème siècle. Mais il semble que les médecins étaient beaucoup plus libres de leurs prescriptions que maintenant. Et c’était un siècle en pleine effervescence concernant la recherche scientifique. Donc, d’une part, il semble qu’on expérimentait un peu tout et n’importe quoi ; et d’autre part, les médecins prescrivaient un peu ce qui leur plaisait. C’est ce qui fait qu’il y a une quantité considérable de produits ou de techniques qui ont été utilisés. En plus des diverses médications trouvées, j’ai lu des récits concernant l’usage d’oxygène, de gaz carbonique, de fumigations aqueuses, de cigüe, de sucre d’escargot, de pignons, etc… Du coup, on s’y perd un peu. Et il est difficile au départ de dégager une tendance ou une problématique générale. Mais petit à petit les choses s’éclaircissent.

Ce qu’il y a, c’est qu’il y a des médicaments utilisés dont on ne comprend pas trop l’usage. Par exemple, on utilisait des vomitifs et des laxatifs. Du coup, au départ, on ne comprend pas trop ce que ça a à voir avec la tuberculose. Mais petit à petit, on arrive comprendre de quoi il retournait probablement.

 

Avant 1870/80 : la saignée, les vomitifs et les laxatifs

 

Trois traitements représentaient la majeure partie de la médecine jusqu’aux années 1870/80 : la saignée, les vomitifs et les laxatifs.

Le principe sous-jacent à ces pratiques était la théorie des humeurs.

On trouve un résumé de cette théorie sur Wikipédia :

« La théorie dite des « humeurs » professait que, chez chaque individu, il existait quatre humeurs, ou fluides principaux – la bile noire, la bile jaune, le flegme et le sang, qui étaient produits par différents organes du corps et qui devaient être en équilibre pour qu’une personne restât en bonne santé. Trop de flegme dans le corps, par exemple, provoquait des troubles pulmonaires et l’organisme tentait de tousser et de cracher le flegme pour rétablir l’équilibre. L’harmonie des humeurs chez l’homme pouvait être obtenue par un régime alimentaire ou des médicaments et par la saignée, en utilisant les sangsues. »

Donc, si la personne toussait, c’était à cause d’un excès de flegme. Excès qu’il fallait évacuer grâce à un régime alimentaire (donc très probablement un jeûne), des médicaments (très probablement des laxatifs ou des vomitifs) et par la saignée. Et comme la tuberculose était caractérisée en partie par la toux, on administrait ces traitements aux tuberculeux.

Et effectivement, on trouve ça dans la revue d’histoire des sciences et de leurs applications (1956, numéro 9-4, p.373-375) dans un article écrit par Wickersheimer Ernest, qui traite du livre d’ Esmond R. Long, « A History of the Therapy of Tuberculosis and the Case of Frederic Chopin… »

« Voilà pour l’Antiquité. L’auteur passe encore plus vite sur le Moyen-âge et la Renaissance. Il a hâte d’arriver au 17ème siècle où l’attendent François Deleboë Sylvius et Thomas Willis qui soignent les phtisiques avec des remèdes chimiques, tandis que Richard Morton préconise la saignée que Thomas Sydenham remplace par l’équitation.

En France, le premier tiers du 19ème siècle est marqué par l’antagonisme de deux écoles, celle de Laennec qui prescrit les potions calmantes, les vêtements chauds, le changement d’air et celle de Broussais qui ne voit de salut que dans une diète débilitante et la saignée à outrance.

Faisons un pas en arrière. En Angleterre, vers 1800, William Nisbet ne rejette pas non  plus la saignée. Ni Benjamin Rush aux Etats-Unis où un peu moins de cent ans plus tôt, le Révérend Cotton Mather accumulait les remèdes les plus singuliers dans son « Angel of Bethesda », et cela sans la moindre critique. »

Donc, comme on pouvait s’y attendre, la saignée était fréquemment pratiquée sur les tuberculeux.

Forcément, chez des personnes déjà en état d’hypotension à cause d’un faible taux de cortisol, ou de la prise d’opiacés, la saignée était très souvent fatale. En diminuant la quantité de sang dans l’organisme, la personne se retrouvait en état d’hypotension. Et comme la saignée était pratiquée sans restriction, on continuait à en faire. Et la personne mourrait d’hypotension extrême à cause de cette pratique.

Comme ça ne coutait rien, et que n’importe qui avec un minimum d’entrainement (en Angleterre, c’était fait par des barbiers), pouvait la pratiquer, forcément, ça devait être quasiment le soin de base en cas de problème un peu important.

Et avec certains médecins, non seulement on utilisait la saignée, mais en plus un jeûne. Donc, alors qu’on entrainait une hypotension par la saignée, on augmentait l’hypotension par le jeûne. Forcément, c’était le massacre.

On note aussi que Laennec prescrit des potions calmantes. Calmantes, ça signifie qu’il s’agissait très probablement de potions ayant des effets de type opiacé. Donc, chez des personnes en état de faible taux de cortisol, ou qui avaient déjà pris des opiacés, on donnait des opiacés. Forcément, ce type de traitement non plus ne devait pas aider à survivre.

On utilisait très souvent des laxatifs en même temps qu’on pratiquait la saignée. C’est ce qu’on peut trouver dans le livre « des indications de la saignée », écrit par Jean-François Fauchier, P176, au chapitre V (des traitements auxiliaires de la saignée) :

« Quand nous n’avons pas lieu de soupçonner la présence d’une grande quantité d’humeurs ou de matières dans les intestins, nous nous bornons aux lavement, mais il est souvent nécessaire, même dans les maladies purement inflammatoires, de donner des doux laxatifs, tels que pruneaux, manne, casse, tamarins ; ils agissent et comme évacuans et comme adoucissans. »

Dans certains documents, on parle aussi de la digitale utilisée comme laxatif lors de la tuberculose. On utilisait également des vomitifs comme le tartre stibié (composé d’antimoine et de potassium).

Cette pratique aussi était une cause de très nombreux morts. Les laxatifs et les vomitifs étant considérés comme des poisons par le corps (ce qu’ils sont effectivement), ils entrainent une mobilisation d’eau et de sang dans le système digestif. Ce qui provoque une hypotension dans le reste du corps. Alors, forcément, sur une personne déjà en état d’hypotension sévère engendrée par la saignée, une telle pratique aboutissait souvent à une hypotension mortelle.

Par ailleurs, ils limitent l’absorption de l’eau des aliments par le corps, en les faisant s’évacuer trop vite, ce qui participe à la déshydratation de la personne.

La fièvre aussi était une cause de saignée (fièvre qui est un des symptômes de la tuberculose). C’est ce qu’on peut trouver dans le livre de Chantal Beauchamp,  » Le sang et l’imaginaire médical », p.151.

Donc, jusqu’en 1870/1880, la cause principale des morts venait surtout de la pratique conjuguée de la saignée, des diètes ou des jeûnes, et de la prise de laxatifs.

On peut même dire que ces pratiques devaient être une cause massive de tuberculose. En provoquant une déshydratation et une hypotension, on créait de la toux, de l’amaigrissement, ou une détresse respiratoire, ainsi que de la fièvre. Donc, avant même la généralisation de la consommation des opiacés, on peut penser que c’est la pratique médicale qui était cause de très nombreux cas de tuberculose.

D’ordinaire, on laisse entendre que la fin de l’ère de la saignée se situe vers le milieu du 19ème siècle. Mais on peut lire dans le livre « Le sang et l’imaginaire médical. Histoire de la saignée aux XVIIIe et XIXe siècles », de Chantal Beauchamp, Desclée de Brouwer, publié en 2000 :

« Chute de cheval, évanouissement, fièvres, pneumonie, accouchements, variole, angine, tout est bon pour pratiquer la saignée. A la langue, à la veine frontale, aux veines du nez, on expurge le sang corrompu et on pratique le coup de lancette jusqu’à rendre exsangue. Spécialiste de l’histoire culturelle de la médecine, Chantal Beauchamp s’interroge sur les raisons qui ont permis à la saignée de résister aux progrès de la connaissance et de rester jusqu’au début du xxe siècle le plus représentatif des soins donnés aux malades. A partir de nombreux textes (essais savants, dictionnaires médicaux, ouvrages de seconde main parus entre 1750 et 1900), elle montre que la saignée, indiquée pour ralentir un flux trop fougueux, pour diminuer les forces du mal ou pour désengorger les humeurs, est considérée comme un substitut à la fonction hémorragique naturelle.« 

Donc, en fait, on l’utilisait encore beaucoup jusqu’au début du 20ème siècle. Du coup, on peut penser que le passage de témoin s’est fait quand la théorie microbienne des maladies s’est imposée, dans les années 1880 (années où Koch a d’ailleurs découvert le bacille de la tuberculose). Ca a du décliner à partir de ce moment-là. Avant, rien ne poussait les docteurs à croire à autre chose que la théorie des humeurs et au pouvoir de la saignée.

Toutefois, ces trois traitements n’étaient pas les seuls employés. Vu que c’était une époque de très grande expérimentation, on administrait les médicaments et traitements les plus divers, comme le mercure, le fluor (1 mars 1887, Garcin, Paris, Traitement de la phtisie par le fluor), le nitrate d’argent (utilisé contre les diarrhées), le plomb (donc, saturnisme), l’arsenic.

D’ailleurs, dans le dictionnaire du dopage de Jean-Pierre de Mondenard, page 133, on trouve : « l’arsenic, au cours du 19ème siècle devint un médicament universel proposé contre la maigreur, l’anorexie, l’asthénie, l’anémie, la tuberculose, l’asthme, la sénescence« .

On a essayé des inhalations d’oxygène, d’ozone, d’ammoniaque, d’acide arsénieux ou sulfureux ou sulfurique, d’acide phénique, d’hydrogène sulfuré (voir ici).

On utilisait également une partie des médicaments cités dans la section parlant des années post-1890 ; comme les opiacés, ou ce que j’appelle de façon générique les anti-inflammatoires.

Vu la toxicité de beaucoup de ces produits, là aussi, on peut se dire qu’ils ont été une source de mort assez massive.

D’autres n’étaient pas dangereux comme les cures de raisin et de petit lait, le sel marin, les ferrugineux, les eaux minérales, les inhalations d’iode.

Pour éviter de faire une liste énorme, je m’arrête là. Mais il y avait des dizaines d’autres produits utilisés contre la tuberculose. L’inventivité des médecins du 19ème siècle en matière de médicaments était sans borne.

 

La période 1890-1950 :

 

A partir de 1890, les choses deviennent un peu moins simples. Dans les documents sur le sujet, on parle surtout de sanatoriums et de pneumothorax artificiels (et des dérivés de cette technique).

Le problème est que les sanatoriums se multiplient ; mais le nombre de places est très loin d’être suffisant. Alors qu’il doit y avoir des millions de tuberculeux (il est dit que 20 % des gens étaient tuberculeux. Donc 20 % de 40 millions, ça fait 8 millions), on doit avoir seulement quelques milliers de places en sanatorium.

De même, le pneumothorax artificiel et ses dérivés se répandent à partir de 1908. Mais là encore, ça ne doit concerner que quelques milliers de personnes (les chirurgiens n’étant pas gratuits et la sécurité sociale n’existant pas).

Donc, il est clair que l’immense majorité des tuberculeux est alors soignée par d’autres méthodes. Mais vu que le 19ème siècle était une grande époque d’expérimentation et de création de médicaments et de traitements, et que l’époque analysée ici se situe entre le 19ème et le 20ème siècle, il est un peu difficile de s’y retrouver parmi la masse de médicaments et de traitements évoquées.

Heureusement, on a quelques informations qui permettent de savoir à peu près ce qui était administré aux tuberculeux. Et par ailleurs, au début du 20ème, la pharmacopée se stabilise et de nombreux traitements exotiques du 19ème siècle sont abandonnés.

Au début du 20ème siècle, dans le manuel des hospitalières (voir ici), il y a une liste des médicaments préconisés contre la tuberculose. On y trouve : la créosote (huile désinfectante à base d’extrait de goudron), le gaïacol, l’arsenic et l’huile de foie de morue. Il suggère aussi de l’antipyrine (un anti-inflammatoire) et de l’aspirine contre la fièvre ; de la codéine contre la toux ; des lavages d’estomac contre les vomissements, et de l’ergotine en potion (extrait d’ergot de seigle) contre les crachements de sang.

Cette liste, plus quelques autres informations obtenues par ailleurs, permettent d’avoir une idée de ce qui se passait.

En fait, on donnait essentiellement soit des opiacés, soit des anti-inflammatoires.

On pouvait éventuellement donner des médicaments particuliers (plutôt des métaux) n’entrant pas dans les deux catégories précédentes (comme l’arsenic, cité plus haut). Il s’agissait généralement de médicaments déjà utilisés au 19ème siècle. Mais les produits encore en usage étaient beaucoup moins nombreux qu’avant.

 

–          Opiacés

Codéine :

Comme on l’a vu dans le « manuel des hospitalières », on utilisait de la codéine contre la toux des tuberculeux. A priori, on devait l’utiliser depuis sa découverte (1832) comme antitussif.

Laudanum :

Le laudanum était prescrit aussi pour la tuberculose (ici) :

« Laudanum was a wildly popular drug during the Victorian era. It was an opium-based painkiller prescribed for everything from headaches to tuberculosis. »

Morphine :

Dans un livre apparemment assez ancien (deuxième moitié du 19ème siècle probablement, puisqu’on y parle de sanatorium) on trouve :

« Phtisie fébrile avec septicémie consomptive : le plus habituellement, le malade est alors perdu ; il peut essayer de réaliser chez lui la cure à l’air libre et au repos, mais il faut éviter de le faire voyager, de l’envoyer dans une station de phtisiques ou dans un sanatorium. Prescrire un mélange de sirop de morphine et de sirop d’éther et, si les souffrances du malade sont trop vives, ne pas hésiter à recourir aux piqures de morphine.« 

Héroïne :

On trouve ça ici, qui vient du Sunday Times du 13 septembre 1998 (à l’occasion des 100 ans de la découverte de l’héroïne) :

« En novembre1898, Dreser a présenté le produit au congrès des Naturalistes et médecins allemands, déclarant qu’il était 10 fois plus efficace en tant que médicament contre la toux que la codéine, mais avec seulement le dixième de ses effets toxiques. Il était également plus efficace que la morphine en tant qu’antidouleur. Il était sans danger. Il ne provoquait pas d’addiction. En bref, c’était un médicament idéal – le Viagra de son époque.

« Ce dont nous ne nous rendons plus compte maintenant », déclare David Muso, professeur de psychiatrie et d’histoire de la médecine à l’école médicale de Yale « est que ce médicament à rencontré un besoin vital qui n’était pas celui d’un antidouleur, mais d’un remède contre la toux« .

La tuberculose et la pneumonie était alors les causes les plus importantes de mort, et même des toux ordinaires ou des rhumes pouvaient être sévèrement incapacitante. L’héroïne, qui en même temps entrainait une dépression respiratoire et, en tant que sédatif, donnait une nuit de sommeil réparatrice, semblait être un don de Dieu ».

La réponse initiale après son lancement fut extrêmement positive. Dreser avait déjà écrit des articles concernant ce médicament dans des journaux médicaux, et des études avaient confirmés ses vues concernant le fait que l’héroïne pourrait être efficace dans le traitement de l’asthme, la bronchite, la phtisie et la tuberculose. »

On trouve dans le livre « Heroin century », de Tom Carnwath et Ian Smith, page 18 :

« Des deux nouveaux composés, l’héroïne est celui qui progressa le plus facilement. Dreser fut rapidement convaincu de son pouvoir en tant que traitement de la tuberculose. Il le développa rapidement à travers des tests sur des animaux et des humains et le mis sur le marché en 1898. Il pensait que ça avait un effet spécifiques sur la respiration, similaire à celui qu’avait la digitale sur le cœur et il le nomma « héroïne » en référence à la mode de l’époque pour des traitements « héroïques », c’est-à-dire que le traitement utilisait des produits efficaces à haute dose. »

Analogues d’opiacés :

On utilisait aussi le Phellandrium aquaticum, un extrait de la cigüe aquatique. Les graines étaient utilisées pour calmer la toux et l’agitation. Donc, un analogue d’opiacé.

On utilisait l’éther (qui est aussi un analogue d’opiacé). Par exemple un certain A. Vernier a écrit en 1907 : « Essais de traitement des tuberculose locale par l’éther sulfurique. Considérations sur le traitement ethéro-opiacé dans la tuberculose pulmonaire (la méthode de Du Castel complétée par la méthode de Bier) ». Et Jacob Jacobson a écrit en 1919 : « L’éther éthylcinnamique dans le traitement de la tuberculose pulmonaire ».

 

D’une façon générale, dans le domaine médical, les opiacés étaient partout. C’est ce qu’on peut constater dans le livre « Drugs across the spectrum », de Raymond Goldberg, p.172 :

« Au 19ème siècle, il n’y avait aucune restriction sur ce qui avait rapport à la médecine. En 1906, l’opium et ses dérivés pouvaient être trouvés dans plus de 50.000 médicaments. Des drogues contenant des opiacés étaient utilisées pour traiter les maladies mentales, les maux de tête, les douleurs dentaires, le rhume, la tuberculose et la pneumonie. La morphine et l’héroïne pouvaient être achetées à n’importe quelle boutique locale et aucune ordonnance n’était nécessaire. »

 

 

Donc, premier problème, ces médicaments opiacés entretenaient évidemment la maladie, puisque dès que la personne arrêtait de les prendre, la toux risquait de revenir. D’où le fait que la maladie semblait souvent être une maladie chronique (comme l’asthme) pour certains symptômes.

Corolaire de ça, la personne était très souvent abonnées aux opiacés pendant très longtemps. En effet, comme l’arrêt de l’opiacé faisait revenir la maladie, il fallait en reprendre pour faire à nouveau disparaitre les symptômes. Au final, le traitement aux opiacés (et autres médicaments) était à vie si on ne voulait pas voir revenir les symptômes.

Seulement, j’ai vu pour les médicaments de type anti-inflammatoire, que le traitement n’était pas continu. Il ne durait souvent que quelques mois. Donc, il est tout à fait possible que ça ait été le cas aussi avec les médicaments opiacés. Ce qui est logique, vu que tout le monde n’avait pas la possibilité de payer un traitement à vie. Par exemple, beaucoup se faisaient traiter dans les hôpitaux, et une fois sortis, ne pouvaient pas continuer le traitement pour raisons financières. Donc, le traitement pouvait être à vie pour les gens riches ou de la classe moyenne. Mais pour les pauvres, il devait forcément y avoir des interruptions de traitement pour cause financière. Par ailleurs, le traitement pouvait être interrompu simplement parce que le médecin avait indiqué au patient qu’il n’était pas nécessaire de continuer le traitement, et que celui-ci respectait cette décision.

Deuxième problème, ça provoquait une addiction aux opiacés. Donc, une fois le traitement commencé, la personne arrivait très difficilement à arrêter les opiacés, ce qui entretenait là-aussi certains symptômes de la maladie (amaigrissement, détresse respiratoire). Cela dit, comme la personne devait continuer à en prendre pour éviter le retour des symptômes de la tuberculose, elle s’en voyait prescrire par son médecin autant qu’elle en voulait. Mais si elle voulait en prendre plus, comme jusqu’en 1917 environ, c’était en vente libre, elle pouvait augmenter les doses à l’infini. Et même quand ces produits n’ont plus été en vente libre, il devait être facile d’aller chez plusieurs médecins différents et de se faire prescrire autant d’opiacés qu’on le voulait.

Donc, même si le médecin décidait d’arrêter le traitement, la personne ne pouvait pas parce qu’elle était devenue accroc. Et inversement, si la personne arrivait à ne pas devenir accroc, elle continuait quand même à prendre son traitement parce que certains symptômes revenaient sans lui. Donc, une fois le pied mis dans l’engrenage, il était quasiment impossible de s’en sortir.

Forcément, énormément de gens mourraient d’hypotension ou d’insuffisance respiratoire à cause de cette prise continue et souvent massive d’opiacés.

Troisième problème (le plus important), chez des personnes prenant déjà des opiacés, c’était comme prendre une dose supplémentaire. Donc, ça pouvait causer une insuffisance respiratoire et également aggraver l’amaigrissement. Ce qui pouvait être fatal.

Or, comme on l’a vu, si les personnes étaient diagnostiquées tuberculeuses, c’était en grande partie parce qu’elles consommaient des opiacés. Donc, énormément de tuberculeux étaient dans ce cas. Et dans les années 1890-1920, la consommation d’opiacés était encore très importante. En effet, même si vers le début du 20ème siècle, des voix commençaient à s’élever nettement contre l’addiction aux opiacés, la vogue de ces substances était encore très forte. Un premier coup a été porté en Amérique par le « Pure Food and Drug Act » en 1906. Beaucoup d’entreprises produisant des substances contenant des opiacés ne révélaient pas leur véritable composition. Elles utilisaient des appellations induisant en erreur ou disaient qu’il s’agissait d’ingrédients secrets couverts par brevet. La loi de 1906 les obligeait à révéler la composition réelle des produits contenant des opiacés. Une fois les gens mis au courant que ces produits contenaient des opiacés, leur consommation a baissé de 33 %. Le « Harrison Narcotics Tax Act » (loi américaine visant à limiter la consommation d’opiacés), date de 1914. Mais ce n’est qu’en 1917 qu’on interdit aux médecins de donner des opiacés aux personnes en état d’addiction (seulement, comment déterminer si quelqu’un prend des opiacés par addiction ou pour soigner une maladie). En France, c’est en 1916 qu’une loi est passée. Donc, ce n’est qu’à partir d’environ 1918-1920 (le temps que les habitudes changent) que la consommation libre d’opiacés commence à s’effondrer et que les cas de double consommation (libre + celle pour la tuberculose) deviennent minoritaire. Bien sûr, les docteurs peuvent toujours prescrire des opiacés pour les traitements.

Il y avait aussi le cas des personnes ayant commencé à avoir de la toux parce que la quantité d’opiacés qu’elles prenaient faisait moins effet et parce qu’elles ne pouvaient plus en acheter pour une raison ou pour une autre. En donnant des opiacés contre la tuberculose, on les maintenait dans l’addiction.

On peut imaginer ce qui pouvait se passer avec une personne utilisant de l’opium ou de la morphine, ou du laudanum, chez qui ces produits commençaient à faire moins effet et donc à déclencher des problèmes de toux, et qui du coup, se mettaient à prendre de l’héroïne pour la faire passer. Forcément, beaucoup devaient mourir assez rapidement.

Quatrième problème. Pour les personnes en situation de taux de cortisol bas le problème était similaire au cas précédent. Une personne ayant de la toux et étant en situation d’hypotension à qui on donnait de la morphine ou autre opiacé avait un certain risque de mourir.

 

On peut imaginer aussi l’effet de ces produits sur des personnes âgées.

Et on peut supposer que quand la personne était en phase terminale, on lui donnait de la morphine pour qu’elle meure sans souffrance, ce qui devait, là aussi, être une source de morts importante.

Donc, cet usage médical des opiacés pour soigner la tuberculose était une source de morts énorme.

 

Anti-inflammatoires :

On prescrivait également des anti-inflammatoires aux tuberculeux.

On utilisait l’antipyrine et l’aspirine.

La créosote est une huile extraite du goudron de houille (découverte en 1832) ou d’autres fois du bois de hêtre. Il est dit dans la « Revue des sciences médicales en France et a ̀l’étranger, Volume 31 » :

« 51 tuberculeux ont été traités avec un succès passager de 1 ou 2 mois, après quoi leur maladie a continué son évolution. Mais chez 24 d’entre eux, l’administration de la créosote dut être suspendue par l’un des motifs suivants : nausées (2 fois), vomissement et inappétence (4 fois), crampes d’estomac (6 fois), quintes de toux violentes (1 fois), diarrhée (8 fois), refus du médicament (3 fois).« 

Donc, vu les effets, il s’agit clairement d’un anti-inflammatoire.

Apparemment, on la faisait généralement absorber par voie digestive. Mais on l’utilisait aussi en inhalation. Il est dit dans Wikipédia que : « Elle fut largement utilisée lors du traitement de la tuberculose (en inhalation) ou pour des soins dentaires« . Apparemment, les vapeurs de créosote sont dangereuses, et par conséquence, le produit est désormais interdit pour les usages à l’intérieur des locaux.

On en parle ici : « moyen thérapeutique pour traiter les phtisies. Les médecins avaient observé depuis fort longtemps que les phtisies pulmonaires s’amélioraient, ou guérissaient, lorsque le goudron, réduit à l’état de vapeurs, était inhalé« .

En fait, il est difficile de savoir si les vapeurs ont un effet de type anti-inflammatoire ou de type opiacé. Dans le cas des produits issus du pétrole, ceux ayant une forte volatilité ont l’air d’avoir un effet de type opiacé. Donc, peut-être que la créosote inhalée avait un effet complètement différent de l’effet de l’huile de créosote absorbée par voie orale. A voir. Mais quoi qu’il en soit, ça permettait effectivement de supprimer la toux (comme les sprays utilisés contre l’asthme). Et dès qu’on arrêtait le traitement, elle risquait de revenir.

On utilisait aussi le gaïacol :

Sur médiadico, on a ça :

« Le gaïacol est utilisé comme antiseptique pour les voies respiratoires.« 

Ça se prenait par voie digestive. Il est dit dans la « Revue des sciences médicales en France et a ̀l’étranger, Volume 31 » :

« La tolérance pour ce médicament varie suivant les cas. Parfois le gaïacol provoque des vomissements, surtout chez les tuberculeux alités par la fièvre ou très débilités. D’autres fois, il détermine de la diarrhée.« 

Donc, il s’agit là aussi d’un produit qui doit très probablement être un anti-inflammatoire.

On utilisait aussi l’Agaric blanc (ou Agaric des pharmaciens, polypode du mélèze, polypore officinal). Il s’agit d’un champignon aux propriétés astringentes (c’est-à-dire qui entraine la contraction des tissus et des vaisseaux sanguins), purgatives et antisudorales. C’était utilisé contre les sueurs des tuberculeux. Donc, clairement un analogue d’anti-inflammatoire.

 

 

Premier problème de l’usage des anti-inflammatoires, là aussi, l’usage de ces médicaments entretenait le problème, puisqu’arrêter de les prendre entrainait le risque que la toux revienne, ainsi que l’amaigrissement, la fièvre, etc… Donc, ça faisait entrer dans un cercle vicieux. Et effectivement, au travers de certains livres que j’ai lus, les traitements n’étaient pas toujours pris en continu. Ça pouvait être des traitements de 1 ou 2 mois. Du coup, à la fin du traitement, l’amaigrissement et la toux revenaient, ce qui confirmait, dans l’esprit des médecins, que la tuberculose était toujours là ; ce qui les poussaient donc à administrer à nouveau un traitement pendant quelques mois.

Deuxième problème, aux doses auxquelles c’était utilisé à l’époque, ça devait tuer beaucoup de monde par hémorragies. Quand on sait le rôle qu’a joué l’aspirine dans la mortalité de la grippe espagnole, on se dit que ça a dû tuer pas mal de monde aussi dans le cas de la tuberculose. Surtout qu’un anti-inflammatoire n’était probablement pas toujours utilisé seul. Donc, les surdosages devaient être fréquents.

Troisième problème, la prise d’anti-inflammatoire conduisait à l’augmentation de la prise d’opiacés (ou à la prise d’opiacé tout court si la personne n’en prenait pas avant). En effet, ça cause des diarrhées et des insomnies. Or, on traitait ces symptômes avec des opiacés.

Quatrième problème, si la personne était déjà très amaigrie ou en tout cas en situation d’hypotension sévère, la prise d’anti-inflammatoire pouvait tuer le patient en créant une hypotension mortelle par mobilisation soudaine d’eau et de sang dans le ventre. Ça devait aussi agir par dépression respiratoire. Avec trop peu de sang au niveau de la poitrine, respirer devait devenir difficile.

Cinquième problème, ça devait tuer aussi beaucoup de monde par diarrhées (à doses moyennes et fortes). Une personne tuberculeuse arrivant amaigrie et en état d’hypotension (et donc souvent de déshydratation) et qui développait des nombreux épisodes de diarrhée à cause de ces médicaments pouvait mourir rapidement de déshydratation (et donc d’hypotension) extrême.

Sixième problème, quand les traitements sont à dose de type antibiotique (donc dose forte), ça fait maigrir au lieu de grossir à cause de l’impact que ça a sur la digestion et le foie. Donc, ça accélère la déshydratation et l’hypotension au lieu de l’améliorer. Donc, ça a dû tuer bon nombre de gens par hypotension extrême.

Et même si ça n’était pas ces anti-inflammatoires qui tuaient les gens, c’était la morphine qu’on donnait une fois qu’on imaginait que la personne était mourante.

 

On peut penser qu’à des doses faibles, ça entretenait simplement la maladie. Mais, ça dépendait là encore de sur qui c’était utilisé. Si c’était utilisé sur des personnes très amoindries (amaigrissement, hypotension), même à dose moyennes, ça pouvait tuer le patient rapidement.

Dans le cas où il s’agissait de traitements au long court, même à des doses modérées, ça pouvait finir par tuer la personne par déficience du foie. Par ailleurs, à doses modérées, les cas d’arrêt cardiaque, d’avc (accident vasculaire cérébral) ou d’embolie pulmonaire à cause de caillots accumulés dans les jambes pouvaient être relativement nombreux aussi.

 

Chirurgie :

 

A la fin du 19ème siècle, des techniques chirurgicales sont introduites pour permettre la cicatrisation des lésions tuberculeuses. Parmi celles-ci, on a :

Pneumothorax :

Sur Wikipédia, on trouve ça : « le pneumothorax thérapeutique consiste à provoquer volontairement un pneumothorax dans le but de guérir une maladie. C’était le cas de la tuberculose, que l’on traitait de cette manière jusqu’aux années 1950. » Le pneumothorax naturel est un problème pulmonaire qui entraine qu’une poche d’air se forme entre la paroi du poumon et la plèvre qui l’entoure. La poche d’air fait pression sur le poumon, et la capacité pulmonaire diminue.

Le pneumothorax artificiel (ou collapsothérapie) a été inventée par Carlo Forlanini en 1894 (d’autres sources disent 1882). Il a été utilisé en France à partir de 1908 et dans le monde en 1912.

L’idée était que la toux permanente entraine régulièrement des contractions violentes des poumons. Et la respiration en elle-même entraine des mouvements permanents. A cause de ça, les cavernes des tuberculeux n’arrivaient pas à guérir et donc à se résorber. En les faisant cesser pendant 15 jours ou 3 semaines par la technique du pneumothorax artificiel, sur un poumon, on permettait à celui-ci de se réparer en partie. Puis, on remettait le poumon en fonctionnement. Et on recommençait quelques semaines plus tard. Rapidement, on a pu faire l’opération sur les deux poumons en même temps.

Apparemment, le pneumothorax était partiel. La personne pouvait continuer à respirer, mais moins bien.

En fait, c’est un peu le même principe que de mettre une jambe cassée dans un plâtre. L’immobilisation lui permet de se réparer. Par ailleurs, la rétractation du poumon aide la cicatrisation des cavernes. En fait, au début, on attribuait la guérison à l’immobilisation, puis après 1912, plutôt à la rétractation du poumon.

Thoracoplastie :

On trouve dans le Larousse :

« Ablation chirurgicale de 3 à 8 côtes.

La thoracoplastie était autrefois employée dans le traitement de la tuberculose pulmonaire par collapsothérapie, technique consistant à provoquer un collapsus (affaissement) d’une zone du poumon pour priver le bacille de Koch de l’oxygène indispensable à sa vie. Lourde de conséquences respiratoires (insuffisance respiratoire) et rachidiennes (déformations scoliotiques), cette intervention est aujourd’hui quasiment abandonnée. »

Sur Doctissimo, on trouve : « Intervention chirurgicale consistant à enlever une partie ou la totalité d’une ou plusieurs côtes, dans le but d’affaisser la paroi du thorax (poitrine).« 

Donc, l’objectif était à peu près le même que le pneumothorax, mais là, on sciait les cotes. L’avantage était qu’il y avait moins de complications immédiates qu’avec le pneumothorax qui pouvait en entrainer à tout moment. Par contre, apparemment, ça entrainait une diminution de la capacité respiratoire définitive ; alors que pour le pneumothorax, c’était temporaire. Pour des personnes ayant déjà un problème de difficulté respiratoire à cause de la prise de produits opiacés, on imagine les problèmes que ça pouvait engendrer.

A noter qu’ici, on donne une troisième raison pour cette pratique : priver le bacille de Koch d’oxygène.

Exérèse :

Apparemment, il s’agissait de l’ablation chirurgicale des cavernes (on les cautérisait avec du nitrate d’argent). Ca servait à réparer chirurgicalement les poumons et à limiter l’infection. C’est une méthode qui a connu une certaine faveur à partir de 1935 jusqu’à l’introduction des antibiotiques dans les années 50. Mais, il semble que c’était une technique surtout française.

 

Problèmes de ces techniques chirurgicales :

Là aussi, on imagine le danger pour des gens déjà en situation de faiblesse. Rien que le choc de l’opération pouvait emporter le patient. Mais ça ne posait pas de problème aux médecins, puisque tous les morts étaient attribués à la tuberculose. Donc, dans l’esprit des médecins, dans le pire des cas, la technique n’avait pas réussi à empêcher la mort du patient, mais ne l’avait pas provoquée. Et même pour les quelques cas où il était reconnu que c’était la chirurgie qui avait tué le patient, on mettait en avant le principe du bénéfice/risque. On disait que le bénéfice de ce genre d’opération dépassait le risque, et donc que les quelques pertes étaient compensées par le nombre de personnes sauvées.

Et justement, vu qu’on considérait que c’était les personnes déjà bien affaiblies (détresse respiratoire) qui avaient le plus besoin d’avoir recours à ces techniques chirurgicales, on les pratiquait essentiellement sur celles-ci.

Donc, vu le stress que l’opération et les suites de l’opération engendraient, ça devait provoquer un bon petit nombre de morts.

Mais heureusement, ça devait être pratiqué surtout sur des personnes riches. Donc, ça devait être un remède qui ne concernait qu’une proportion très restreinte des tuberculeux.

Il faut voir aussi que ces méthodes n’ont commencé à être utilisées à grande échelle qu’à partir de 1920 (le temps que les équipes se forment probablement) (voir ici). Donc, elles n’ont pas concerné grand monde (prix), et pas pendant longtemps. C’est encore plus vrai pour l’exérèse, puisque ça a existé pendant seulement environ 10 ans en fait. Ça a été créé vers 1935. Et en 1944, avec l’apparition des antibiotiques, c’était rapidement abandonné.

 

– En résumé sur les médicaments et la chirurgie

Donc, les médicaments et la chirurgie (dans une bien moindre mesure) étaient la source principale des morts, avec par ailleurs l’usage libre d’opiacés et les conditions de vie très dures de certaines catégories de population.

D’autant plus que comme ni le médecin ni ses médicaments n’étaient gratuits et qu’il n’y avait pas de sécurité sociale, beaucoup de gens devaient attendre d’être vraiment mal en point pour consulter. Donc, si la personne était déjà bien malade, les médicaments risquaient d’autant plus de la tuer.

Comme on a pu le voir, il y avait usage de médicaments augmentant le taux de cortisol. Donc, ça aurait pu permettre d’améliorer l’état des patients pendant de très longues périodes. Mais déjà, ils avaient tendance à être trop fortement dosés (entrainant un effet de type antibiotique et donc souvent de l’amaigrissement au lieu d’une prise de poids). Ceux issus de plantes pouvaient voir en plus leur dosage varier. Un autre problème était que les malades consommaient en même temps des opiacés. Donc, ça limitait l’efficacité des anti-inflammatoires. Et enfin, chose capitale, les traitements étaient la plupart du temps discontinus. Donc, même dans le cas où les doses permettaient la prise de poids et la disparition de la toux, le problème de la toux et de l’amaigrissement revenait encore et encore à chaque arrêt du traitement.

A noter aussi que l’arrêt des anti-inflammatoires ou la prise d’opiacés entrainaient des problèmes de moral (déprime et manque de pèche pour l’arrêt des anti-inflammatoires, et déprime et détachement émotionnel pour la prise d’opiacés). Ce qui explique qu’on ait considéré la tuberculose comme une maladie de langueur et de spleen.

 

5) Remplacement de la tuberculose par l’asthme, la bronchite et la pneumonie

 

Comme on l’a vu plus haut, il y a moins de cas de tuberculose pour plusieurs raisons. D’une part parce qu’il y a moins de cas présentant ce genre de symptômes. Et d’autre part, parce qu’on a inventé le vaccin et les antibiotiques. Donc, on ne peut pas dire en même temps que le vaccin et les antibiotiques sont  efficaces et en même temps garder la tuberculose. Et puis, comme on considère que l’incidence est quasi nulle désormais, on ne pense pas à la tuberculose. On a donc supprimé la tuberculose et on la remplacée par autre chose.

Du coup, par quoi l’a-t-on remplacée ? Eh bien par des affections chroniques à l’origine non microbienne comme l’asthme, la bronchite chronique, la sarcoïdose, l’asbestose, la silicose, la sidérose, parfois la mononucléose, et aussi par des affections supposément d’origine microbienne comme la pneumonie, ou encore par un diagnostic d’effet secondaire de la consommation d’opiacés.

Bien sur, la plupart de ces affections étaient déjà identifiées au 19ème siècle. On ne les a pas créées pour l’occasion. Mais on a simplement transféré des cas qu’on aurait autrefois identifiés comme de la tuberculose dans ces autres maladies.

 

6) Analyse des soi-disantes particularités de la tuberculose (crachats de sang, grains de mil, cavernes)

 

Un certain nombre d’éléments de la tuberculose sont plus ou moins présentés au grand public comme spécifiques de cette maladie. Bien sûr, les professionnels savent que ce n’est pas le cas. Mais on entretien une sorte de flou artistique dans l’imaginaire populaire. Ça vient souvent des films ou de la littérature. Mais même le discours des vulgarisateurs scientifiques laisse planer le doute.

On va analyser deux éléments ici, la fréquence du symptôme et sa spécificité. Pour que ça soit significatif, il faut les deux. Si le symptôme est spécifique (donc, ne se retrouve pas dans d’autres maladies), mais est très rare, il ne présente pas d’intérêt, puisque la plupart des cas se font diagnostiquer sans la présence de ce symptôme. Et s’il est très fréquent, mais pas spécifique du tout, il n’est pas significatif, puisque plein d’autres maladies présentent le même symptôme. Ce n’est donc pas un symptôme rare et particulier à cette seule maladie.

 

– Crachats de sang

Les crachats de sang (autrement appelés hémoptysie par l’orthodoxie) ne sont pas spécifiques de la tuberculose.

En fait, les crachats sont souvent dus au fait de tousser de façon répétée pendant des semaines ou des mois. A force, il peut y avoir une irritation des bronches ou de la gorge, ou d’autres endroits situés dans cette zone. Un vaisseau sanguin peut alors être fragilisé et la toux entrainer des crachats de sang. C’est donc souvent une cause purement mécanique liée au fait de tousser.

Ce problème peut aussi survenir s’il y a absorption pendant de longues périodes de produits irritant les bronches ou la gorge.

C’est pour ça qu’il peut y avoir plein de causes pour ce phénomène : asthme, mucoviscidose, tabac, bronchite, dilatation des bronches, tumeur des poumons, pneumopathie bactérienne, aspergillome, pneumoconiose, endométriose, hémorragie alvéolaire, vascularites, fractures de côtes, contusion pulmonaire, rupture bronchique, biopsie bronchique, ponction pleurale, hémopathies, troubles de la coagulation, prise d’anticoagulants, et aussi, le simple fait de tousser.

Donc, on a tendance à associer crachats de sang et tuberculose à cause des livres et des films, et à en faire une caractéristique uniquement propre à la tuberculose. Mais ce n’est absolument pas le cas.

Concernant la fréquence des crachats de sang lors d’une tuberculose, on a ici le chiffre officiel : « Hémoptysies  (10 %): Elles traduisent le plus souvent l‘excavation d’une lésion parenchymateuse« .

Donc, il n’y a que 10 % de tuberculoses pulmonaires avec crachats de sang.

En résumé, il s’agit d’un symptôme assez rare et non spécifique. Donc, ce n’est absolument pas significatif.

Il est possible que ce symptôme ait été un peu plus fréquent au 19ème siècle parce que les personnes diagnostiquées comme ayant la tuberculose subissaient des irritations des bronches à cause de l’inhalation de substances toxiques (poussière des mines, produits chimiques dans les usines, opiacés). Mais désormais, ce n’est plus le cas.

 

-grains de mil

 

–          Pas spécifiques de la seule tuberculose

Un élément qui est souvent présenté au grand public comme caractéristique de la tuberculose pulmonaire est donc la présence de micronodules autrement appelés grains de mil. D’où le nom de tuberculose milliaire.

Le problème est que les fameux grains de mil ne sont absolument pas spécifiques de la tuberculose. Il y a plein de maladies qui peuvent entrainer l’apparition de micronodules.

Sur le site « atoute« , un des médecins avait répondu à une intervenante : « il y a des dizaines de cause de micronodules pulmonaires« . Donc, ce n’est pas deux ou trois causes supplémentaires possibles ; ce sont des dizaines de causes supplémentaires possibles.

Voici différentes causes possibles (trouvées dans le livre « pneumologie pour le praticien », de Gérard Huchon, p.63 et 64) :

– Pour les micronodules interstitiels :

Tuberculose, silicose, sarcoïdose (ou lymphogranulomatose bénigne, guérit spontanément dans 80 % des cas)

– Pour les micronodules bronchiotoalvéolaires :

Bronchopneumonie a pyogènes, tuberculose, mycobactérioses atypiques avec dissémination bronchogène, pneumopathies d’hypersensibilité, panbronchiolite diffuse, de l’asbestose à une phase précoce de la silicose et des pneumoconioses des mineurs de charbon, bronchiolite respiratoire du fumeur, bronchiolite oblitérante avec ou sans pneumonie en voie d’organisation, mucoviscidose, dilatation des bronches.

En fait, selon les types de distribution, on ajoute d’autres maladies possibles :

Pour une distribution au hasard, en plus de la tuberculose, on a : des mycoses (histoplasmose, candidose, blastomycose) et des infections virales (CMV, herpès, varicelle).

Distribution centrolobulaire : bronchiolites infectieuses ou inflammatoires. Etc…

Ici, on peut trouver aussi : « Enfin, il est fréquent d’observer des micronodules bronchogènes au cours de l’asthme (hypersécrétion) et dans les bronchectasies surinfectées par des germes divers (par exemple pyocyanique)« .

Bref, il y a effectivement des tas de causes possibles de micronodules pulmonaires.

 

–          Caractéristique rarement présente dans la tuberculose

Par ailleurs, la tuberculose miliaire est une forme rare de la tuberculose pulmonaire.

Par exemple, ici, il est dit à propos de la tuberculose miliaire : « elle réalise une urgence médicale. Il s’agit d’une forme rare de tuberculose pulmonaire liée à la dissémination hématogène du bacille de Koch« .  Et ici, on trouve « la miliaire est une forme rare mais grave de tuberculose« .

Pour être plus précis, le pourcentage est de seulement 2 % de l’ensemble des tuberculoses. C’est ici : « la  tuberculose  miliaire  est  assez  rare  (2%  de toutes les atteintes tuberculeuses)« .

Et si ça représente 2 % de l’ensemble des tuberculoses, pour les pulmonaires (qui représentent 80 % des tuberculoses), ça représente environ 20 % en plus, soit 2,4 % des tuberculoses pulmonaires.

Donc, ça n’est pas du tout une caractéristique générale de la tuberculose. C’est au contraire une caractéristique qu’on retrouve très rarement.

Du coup, à cause de sa rareté, c’est facile de trouver ce symptôme chez quelques personnes. Il y avait 5768 cas de tuberculose en France en 2008. 2 % de 5768 ça fait 115. Il y avait donc 115 cas de tuberculose miliaire en France. C’est sur que ça ne doit pas être trop difficile de trouver ça sur 60 millions de personnes. Entre les fumeurs, les drogués, les personnes prenant des traitements contre le sida, etc.., c’est un jeu d’enfant de trouver 115 personnes avec les poumons ayant des micronodules.

 

En résumé, les micronodules ne sont ni fréquents, ni spécifiques. Ce n’est donc pas un symptôme significatif.