La rage (partie 3/4)

 

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Dans « The Boston Medical and Surgical Journal, Volume 28 », Cupples, Upham & Company, 1843, page 133 :

« En 10 ans, 233 personnes mordues par différents animaux (182 par des chiens) ont été admises à l’hôpital de Zurich ; desquelles, seulement 4 moururent.

De 184 cas entrés à l’hôpital de Breslau en 14 ans, 2 seulement sont morts d’hydrophobie.« 

Ça devait se passer au 19ème siècle entre 1820 et 1840, quelque chose comme ça. Pour le premier, on n’a pas la méthode utilisée ; mais pour le deuxième, la cantharide était utilisée en application sur la plaie, il y avait des frictions de mercure, et du calomel était administré en interne, jusqu’à salivation. Et on peut penser qu’on pratiquait aussi la cautérisation, vu que c’était le traitement standard. Au final, on a respectivement 1,7 % et 1 % de morts seulement. Autrement dit, le traitement préventif marchait entre 98 et 99 % du temps. Donc, on croyait bien qu’on pouvait prévenir l’apparition de la maladie avec une grande efficacité.

Page 134 du même ouvrage :

« Dans le 1er et le 2nd volume de l’American Farmer, on peut voir un dessin des différentes espèces de scull-cap, et divers articles bien écrits, présentant les faits marquants sur l’efficacité de cette plante à contrôler la force de la maladie. La preuve est irrésistible que ses vertus sont quasiment spécifiques, et plus de mille cas bien attestés de personnes ayant été complètement et rapidement guéries par son usage sont rapportés.« 

Encore dans « M. Pasteur et la rage, Exposé de la méthode Pasteur », Dr Lutaud, page 87 (ici) :

« J’ai exercé la médecine pendant 42 ans en ville et dans mon service d’hôpital (pendant 33 ans) ; je n’ai observé dans ma pratique personnelle ou dans celle de mes confrères aucun cas de mort par la rage confirmée, consécutive à la morsure d’un animal. J’ai 70 ans, j’ai fait et je fais encore beaucoup de clientèle, je n’ai jamais vu un seul cas de rage, quoique j’aie été appelé à donner des soins à de nombreuses personnes mordues par des animaux déclarés enragés (chiens et chats) par des vétérinaires des plus autorisés. Dr X.« 

Donc, là aussi, quel qu’ait été le traitement utilisé, ça marchait 100 % du temps.

Dans l’ouvrage « Manuel pratique des contrepoisons », Hector Chaussier, 1836, page 306 :

« Voici maintenant les observations recueillies à cet égard par le docteur Marochetti.

Pendant une soirée d’automne, un gros chien enragé mordit quinze personnes d’âge et de sexe différents. Le lendemain matin, M. Marochetti se rendit à l’endroit où cet accident avait eu lieu, fit transporter les personnes mordues dans une même maison où il les réunit toutes, et plaça près de ces malheureux des gens pour les soigner. Dans cet intervalle, une députation de vieillard vient prier M. Marochetti de permettre que ces gens mordus fussent soignés par un paysan des environs, qui avait sauvé un grand nombre de personnes dans la même circonstance.

M. Marochetti, qui en avait déjà entendu parler, se rendit aux instances de ces vieillards, mais sous la condition qu’il traiterait lui-même un de ces malades, tandis que le paysan soignerait les autres. En conséquence, il choisit une petite fille de six ans qu’il soumit au traitement ordinaire. Cautérisation des morsures, calomel, camphre, opium, alisma plantago, etc; mais, le septième jour après l’accident, l’hydrophobie se déclara subitement et huit heures plus tard, elle mourut en présence du médecin dans des accès de rage affreux.

Pendant ce temps, le paysan avait mis les quatorze individus dont il était chargé à l’usage de la décoction du genêt des teinturiers. Soir et matin, il examinait le dessous de la langue de ses malades, et, avec une grosse aiguille de fer rougie à la chandelle, il cautérisait les boutons qui avaient paru, puis faisait gargariser la bouche avec la décoction de genêt qu’il faisait boire fréquemment, enfin, il avait soin d’entretenir la suppuration des morsures. Des quatorze individus traités par ce paysan, douze subirent la cautérisation des boutons et furent sauvés. Les deux autres n’eurent point de boutons, mais ils prirent aussi la décoction de genêt et furent également sauvés.

Enfin, pendant six semaines, tous ces individus continuèrent l’usage de la décoction de genêt. Durant trois années, M. Marochetti ne les perdit pas de vue et put s’assurer que leur guérison avait été parfaite. »

Donc, là, on a 15 personnes soignées et une morte, soit 93 % de réussite.

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La rage (partie 4/4)

 

–          Les causes des morts

 

Au final, si ces personnes mourraient, c’était souvent à cause des médicaments que les médecins leurs prodiguaient. La belladone, le calomel, l’acétate de plomb, l’arsenic, et d’autres médicaments dangereux pouvaient tout à fait entrainer la mort au bout de quelques jours ou semaines.

Mais en plus, on pratiquait la saignée. Saignée qui était accompagnée générale de l’utilisation de laxatifs ou de vomitifs.

Par exemple, dans « La rage à la fin de l’ancien régime dans le cours complet d’agriculture de l’abbé Rozier : étude médicale et vétérinaire » :

« La saignée et les autres évacuants laxatifs et antiphlogistiques, peuvent beaucoup soulager les malades ; il faut les faire boire abondamment, surtout lorsque l’horreur de l’eau n’est pas encore déclarée« 

Et comme on l’a vu par ailleurs, à l’époque, on pouvait prélever jusqu’à 3 litres par saignée. Donc, la saignée et les purgatifs pouvaient eux aussi tuer la personne.

Bien sûr, les empoisonnements fournissaient aussi leur nombre de morts.

 

Enfin, la personne pouvait mourir tout simplement de mort naturelle, si la morsure était trop profonde (par exemple si elle avait entrainé une gangrène ou une hémorragie interne) ; ou de mort semi-naturelle dans le cas où l’hémorragie avait été favorisée par la prise de médicaments fluidifiant le sang, et dans celui où la gangrène avait été favorisée par la saignée.

A ce sujet, on apprend dans ce document de Sanofi-Pasteur que : « 30 à 50% des sujets qui meurent de la rage sont des enfants de moins de 15 ans. Les enfants sont particulièrement à risque car ils sont souvent mordus à la tête, au visage et aux bras » (les chiffres viennent de l’OMS).

Effectivement, dans la mesure où avec les enfants, les blessures sont souvent faites à la tête ou au cou, le risque qu’elles soient mortelles par hémorragie interne est beaucoup plus grand (hémorragie éventuellement favorisée par des médicaments fluidifiant le sang).

Or, entre le 15ème et le 19ème siècle, 85 % des attaques de loups concernaient des enfants de 6 à 15 ans (Les loups, G. Cardone, p.114 ; Histoire du méchant loup, J.M Moriceau, p.376, ou ici, p.18). Donc, la population des personnes mordues étant très majoritairement composée d’enfants, la probabilité de mort naturelle ou semi-naturelle était d’autant plus importante.

Par ailleurs, le fait que les enfants aient plus souvent des blessures à la tête ou au cou devait faire qu’ils développaient plus facilement des symptômes plus ou moins de type hydrophobie. En effet, on faisait des frictions de mercure ou autres produits chimiques au niveau de la plaie. Donc, chez les enfants, ça se faisait souvent au niveau de la tête. Et le mercure ou les autres produits pouvaient passer plus facilement dans le cerveau, la bouche, ou les yeux et ainsi engendrer des symptômes de rage. Donc, non seulement ils avaient plus de risques de mourir, mais ils avaient également plus de risques d’être considérés comme atteints de la rage.

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