La rage (partie 3/4)

 

  • Autres

 

Dans « The Boston Medical and Surgical Journal, Volume 28 », Cupples, Upham & Company, 1843, page 133 :

« En 10 ans, 233 personnes mordues par différents animaux (182 par des chiens) ont été admises à l’hôpital de Zurich ; desquelles, seulement 4 moururent.

De 184 cas entrés à l’hôpital de Breslau en 14 ans, 2 seulement sont morts d’hydrophobie.« 

Ça devait se passer au 19ème siècle entre 1820 et 1840, quelque chose comme ça. Pour le premier, on n’a pas la méthode utilisée ; mais pour le deuxième, la cantharide était utilisée en application sur la plaie, il y avait des frictions de mercure, et du calomel était administré en interne, jusqu’à salivation. Et on peut penser qu’on pratiquait aussi la cautérisation, vu que c’était le traitement standard. Au final, on a respectivement 1,7 % et 1 % de morts seulement. Autrement dit, le traitement préventif marchait entre 98 et 99 % du temps. Donc, on croyait bien qu’on pouvait prévenir l’apparition de la maladie avec une grande efficacité.

Page 134 du même ouvrage :

« Dans le 1er et le 2nd volume de l’American Farmer, on peut voir un dessin des différentes espèces de scull-cap, et divers articles bien écrits, présentant les faits marquants sur l’efficacité de cette plante à contrôler la force de la maladie. La preuve est irrésistible que ses vertus sont quasiment spécifiques, et plus de mille cas bien attestés de personnes ayant été complètement et rapidement guéries par son usage sont rapportés.« 

Encore dans « M. Pasteur et la rage, Exposé de la méthode Pasteur », Dr Lutaud, page 87 (ici) :

« J’ai exercé la médecine pendant 42 ans en ville et dans mon service d’hôpital (pendant 33 ans) ; je n’ai observé dans ma pratique personnelle ou dans celle de mes confrères aucun cas de mort par la rage confirmée, consécutive à la morsure d’un animal. J’ai 70 ans, j’ai fait et je fais encore beaucoup de clientèle, je n’ai jamais vu un seul cas de rage, quoique j’aie été appelé à donner des soins à de nombreuses personnes mordues par des animaux déclarés enragés (chiens et chats) par des vétérinaires des plus autorisés. Dr X.« 

Donc, là aussi, quel qu’ait été le traitement utilisé, ça marchait 100 % du temps.

Dans l’ouvrage « Manuel pratique des contrepoisons », Hector Chaussier, 1836, page 306 :

« Voici maintenant les observations recueillies à cet égard par le docteur Marochetti.

Pendant une soirée d’automne, un gros chien enragé mordit quinze personnes d’âge et de sexe différents. Le lendemain matin, M. Marochetti se rendit à l’endroit où cet accident avait eu lieu, fit transporter les personnes mordues dans une même maison où il les réunit toutes, et plaça près de ces malheureux des gens pour les soigner. Dans cet intervalle, une députation de vieillard vient prier M. Marochetti de permettre que ces gens mordus fussent soignés par un paysan des environs, qui avait sauvé un grand nombre de personnes dans la même circonstance.

M. Marochetti, qui en avait déjà entendu parler, se rendit aux instances de ces vieillards, mais sous la condition qu’il traiterait lui-même un de ces malades, tandis que le paysan soignerait les autres. En conséquence, il choisit une petite fille de six ans qu’il soumit au traitement ordinaire. Cautérisation des morsures, calomel, camphre, opium, alisma plantago, etc; mais, le septième jour après l’accident, l’hydrophobie se déclara subitement et huit heures plus tard, elle mourut en présence du médecin dans des accès de rage affreux.

Pendant ce temps, le paysan avait mis les quatorze individus dont il était chargé à l’usage de la décoction du genêt des teinturiers. Soir et matin, il examinait le dessous de la langue de ses malades, et, avec une grosse aiguille de fer rougie à la chandelle, il cautérisait les boutons qui avaient paru, puis faisait gargariser la bouche avec la décoction de genêt qu’il faisait boire fréquemment, enfin, il avait soin d’entretenir la suppuration des morsures. Des quatorze individus traités par ce paysan, douze subirent la cautérisation des boutons et furent sauvés. Les deux autres n’eurent point de boutons, mais ils prirent aussi la décoction de genêt et furent également sauvés.

Enfin, pendant six semaines, tous ces individus continuèrent l’usage de la décoction de genêt. Durant trois années, M. Marochetti ne les perdit pas de vue et put s’assurer que leur guérison avait été parfaite. »

Donc, là, on a 15 personnes soignées et une morte, soit 93 % de réussite.

 

Et on pourrait continuer la liste des remèdes contre la rage sur 10 pages sans épuiser le sujet.

Donc, on avait une importante diversité de remèdes. Normalement, ils n’auraient pas dû marcher. Et pourtant, c’était le cas (en tout cas pour ceux cités ici). La seule raison possible à cet état de fait, c’est tout simplement que la rage n’a jamais existé que dans la tête des gens et que du coup, n’importe quel traitement fonctionnait.

Alors bien sûr, on peut répondre que les auteurs en question ont menti et qu’en réalité, les traitements ne marchaient pas. Seulement :

  • une partie des auteurs cités ici sont des auteurs de l’antiquité sur les écrits desquels on se repose pour démontrer que la rage était connue de longue date. Problème, si on dit qu’ils ont menti pour les traitements, alors rien n’empêche qu’ils aient menti aussi pour la maladie elle-même. Tant qu’on soutient qu’ils ont dit la vérité pour les deux, la confiance reste inentamée (en tout cas d’un point de vue orthodoxe). Mais si qu’on se met à dire qu’il y a eu mensonge à un endroit, ça n’est plus le cas.

    Et si on introduit l’idée qu’ils aient pu mentir sur la rage elle-même, alors, c’est que la réalité de celle-ci n’est pas si évidente que ça. Et par ailleurs, comme dit plus haut, ça fait remonter la description de la maladie à bien plus tard, quand on a commencé à vouloir exterminer les loups et autres animaux en concurrence avec le paysan européen. Donc, si on veut sauver cet aspect de la théorie officielle, on la met en danger sur d’autres points.

  • si les autres auteurs avaient menti, il n’aurait pas manqué de gens pour réfuter leurs mensonges. Dans la mesure où certains étaient des critiques de la théorie officielle, il y aurait eu aussitôt 20 auteurs officiels pour les contredire. Mais personne ne l’a fait. Par ailleurs, ils parlent d’usages assez répandus qui ne se pratiquaient pas en secret. Donc, on n’a pas de raison de croire que ce qu’ils disent est faux.
  • Si des taux de réussite aussi élevés avaient été exceptionnels, les auteurs auraient éprouvé le besoin de se justifier. Ils auraient évoqué le fait que la prévention réussie de la rage était quelque chose d’extrêmement rare. Et ils auraient fait remarquer qu’ils avaient trouvé pour la première fois LA méthode efficace pour prévenir la rage. Mais là, il n’y a rien de tout ça.
  • De toute façon, il y a des chiffres concernant des hôpitaux de l’époque, donnés par des sources toute à fait orthodoxes.

 

 

On objectera aussi que le pourcentage de gens mordus qui développent la maladie n’est que de 5-15 % ou au pire de 10-20 % ; et qu’en conséquence de quoi, la plupart des gens mordus n’auraient de toute façon pas développé la maladie. Il est donc normal qu’il y ait eu de nombreux cas de guérison avec n’importe quel traitement.

Sauf que même si dans les temps reculés on ignorait le chiffre exact, on aurait dû savoir que le taux de malades après morsure était faible. Et on aurait dû être capable de voir que tel remède n’avait en réalité aucun impact. Donc, un traitement considéré comme prévenant l’apparition de la maladie devait forcément entrainer un taux de malades largement inférieur à 5 %.

Et d’ailleurs, de ce qui apparait à partir des documents cités, c’est que pour beaucoup de méthodes, le taux de guérison était proche de 99 %. Quand quelqu’un se faisait soigner par l’omelette ou la clef de Saint-Hubert, il ne développait pratiquement jamais la maladie.

Et puis, de nos jours, pour le grand public en tout cas, on dit que le taux de conversion vers la maladie est de 50 %. Donc, si on retient ce chiffre, l’objection ne tient plus.

 

De toute façon, on trouve des témoignages de cas soignés alors que la maladie avait déjà commencé à se manifester. Or, dans ce cas, on dit que le taux de mortalité est de 100 %. Donc, il aurait dû être impossible d’obtenir des guérisons. Et pourtant si.

Par exemple, on trouve dans, « Recherches sur la rage« , par Andry, page 76 :

« Les guérisons multipliées, opérées par la méthode du F. du Choisel, qui diffère de celle de M. Desault en ce qu’il rapproche les frictions, et y joint l’usage des pilules mercurielles purgatives ; la cure qu’il fit d’une femme âgée de 30 ans, qui avait déjà les symptômes de l’hydrophobie« 

Page 82 du même livre, on a :

« En 1770, M. Baudot, médecin à la Charité-sur-Loire, publia ses essais anti-hydrophobiques. Ce savant médecin avait été chargé par M. Dupré de Saint-Maur, intendant du Berry, de donner des soins à plusieurs personnes qui avaient été mordues par un loup enragé, au mois de juin 1765. Cinq étaient déjà mortes, lorsque M. Baudot se rendit dans l’endroit où ce malheur était arrivé. Il ne restait plus qu’un jeune homme du nombre des blessés. Il avait tous les signes de la rage naissante. Les frictions mercurielles employées promptement, et quelques remèdes internes, guérirent radicalement le malade.« 

Dans « Dictionnaire abrégé de thérapeutique« , Lad. A. Szerlecki de Varsovie, 1837, page 247 :

« Buisson a publié la guérison d’une hydrophobie commençante, par un moyen perturbateur. Il conseilla au malade de prendre un bain de vapeur dit à la russe, et lui fit prendre, avant son entrée dans le bain, une forte décoction de salsepareille et de gayac. Il élevait la température du bain jusqu’à 50°. Le malade sua considérablement et en sortant il se trouva parfaitement bien. (l’Hygie, 1825, sept.) V. Sanchez.« 

« Desault est le premier qui recommanda d’employer le mercure en frictions sur la partie mordue et dans son voisinage. Beaucoup d’autres auteurs ont adopté le traitement par les frictions mercurielle, et même cité un grand nombre d’exemples de personnes préservées de la rage par ces frictions.

Tissot. Ce remède est, disait-il, aussi efficace contre cette maladie qu’il l’est contre la syphilis, et peut non seulement garantir de la rage, mais encore la guérir quand déjà ses symptômes se sont manifestés.« 

« Dudebat cite un cas d’hydrophophobie guérie par l’emploi des saignées et du vinaigre très-fort. (Gaz. méd., 1834, p. 288)« 

« Lenoissa prétend avoir guéri un hydrophobe par le vinaigre, dont le malade prenait une livre trois fois par jour. (Froriep, Notiz., 1824)« 

Page 248

« Meyer cite un cas de guérison. Le malade fut saigné jusqu’à défaillance : 10 sangsues furent appliquées autour de la morsure, qui fut scarifiée, saupoudrée de cantharides, et recouverte de cataplasmes chauds. Le calomel fut prescrit à la dose de 4 grains toutes les heures ; on a fait toutes les 3 heures des frictions de 3ij d’onguent mercuriel sur le membre malade et sur l’épine (Hufel., Journ., 1833).« 

« Sauter raconte deux cas de rage déclarée, guéris par la belladone donnée à la dose de 6-12 grains (Hufel., Journ., 1800).« 

« Laneri veut avoir guéri une hydrophobie par l’opium à la dose de 4 grains. (P. Frank, Syst. e. vollst. med. Poliz., Mannheim, t.4, p.329).« 

Page 249

« Rossi a voulu appliquer le galvanisme au traitement de la rage. Un homme, qu’un chien enragé avait mordu au gros doigt, éprouvait depuis environ un mois de vives douleurs dans le bras et au dos ; l’emploi du caustique supprima ces douleurs pour quelques jours, mais bientôt, elles recommencèrent avec d’autres symptômes plus alarmants. Le malade frissonnait à l’aspect de l’eau ; il avait envie de mordre, et sa gorge était tellement enflammée, qu’il ne pouvait avaler les aliments solides. Le docteur Rossi le galvanisa avec une pile de 50 couples de disques, dont le bout de l’arc, qui communiquait avec l’appareil de Volta, fut introduit dans la bouche. Le jour d’après, lorsqu’on devait galvaniser à nouveau le malade, celui-ci vient lui-même annoncer au médecin qu’il était guéri. Il y eut quelques jours plus tard, une nouvelle atteinte de rage, mais le docteur Rossi en effaça toutes les traces en soumettant de nouveau le malade à l’action du galvanisme. (Dict. des sc. méd., t. XLVII, p. 126.)« 

« Schrader vantait l’herbe d’Anagallis comme un remède prophylactique et curatif infaillible contre la rage.

…Lembke a constaté l’efficacité de ce remède.« 

Juste après

« Spalding, Lyman, affirme que le scutellaria lateriflora est un spécifique assuré. Il est, dit-il, toujours temps de faire prendre au malade ce médicament : que l’individu soit récemment mordu, que la rage soit déclarée, l’action efficace de la scutelaria n’en est pas moins certaine. Le nombre rapporté des hommes guéris par l’emploi de cette plante s’élève à plus de 830, et celui des animaux à 1100.« 

Page 250

« Un cas d’hydrophobie fut guéri par la sabadille (Harnisch, Ueb d. Zulaess, des homeop, Heilf, Weimar, 1836, p.187).« 

« La saignée à défaillance fut déjà prônée depuis longtemps : Boerhaave recommandait d’ouvrir largement la veine dans la rage, comme dans une forte maladie inflammatoire. Méad a aussi cru qu’on pouvait tirer de l’avantage de cette méthode. Tymon a publié une observation dans laquelle il dit avoir guéri un hydrophobe par la saignée, le mercure et l’opium.

Schoolbred s’est servi de cette méthode chez un homme hydrophobe. Kluyskens rapporte une autre observation de guérison de rage par la saignée à défaillance.

Goeden a traité quatre hydrophobies complètement développées par suite de morsures d’animaux enragés. Des quatre malades, deux guérirent. Le traitement mis en usage dans ces cas consistait dans la saignée poussée jusqu’à la syncope et dans l’administration du calomel à l’intérieur et dans les frictions mercurielles.« 

Page 251,

« Fayerman veut avoir guéri un hydrophobe par l’extrait de saturne de Goulard (ndr : acétate de plomb), donné à l’intérieur (Med. Chir. Zeit., 1825, T.4)« 

 

Dans  » Dictionaire des sciences médicales: Sar – sem, Volume 50″, Nicolas P. Adelon, François Pierre Chaumeton, Panckoucke, 1820, page 390 :

« Il parait que dès 1772, le médecin américain Laurence Vanderveer en fit usage (note d’Aixur : de la scutellaria lateriflora) contre l’hydrophobie. Mort en 1815, il n’a rien écrit sur cette plante pendant les quarante années qu’il l’employa, et ses propriétés restèrent inconnues, bien que ce médecin n’en fît aucun mystère. On croit savoir pourtant qu’il l’administra à plus de quatre cents personnes, et qu’aucun symptôme d’hydrophobie n’y résista, excepté dans un seul cas ; il a aussi employé cette plante à la guérison de plus de mille bestiaux pris de la rage. Le docteur Laurence révéla les propriétés merveilleuses de la scutellaire à fleurs latérales à son fils, Henri Vanderveer, qui habite dans le New-Jersey, la même résidence que son père, lequel continua d’employer la scullcap, et, depuis trois ans, il assure s’en être servi et avoir guéri plus de quarante personnes de l’hydrophobie avec cette plante ; il affirme que les gens ou les animaux mordus par la même bête meurent s’ils ne prennent pas de la scutellaire, tandis que ceux qui en prennent guérissent.

Ces deux médecins ne sont pas les seuls qui aient fait usage de ce végétal. En 1783, Daniel Lewis, tisserand, dans l’état de New-York, ayant été mordu par un chien et guéri par la scullcap que lui administra le docteur Laurence Vanderveer, devint bientôt lui-même un des prôneurs de cette plante ; jusqu’à son décès, arrivé en 1810, il avait guéri plus de cent personnes de l’hydrophobie, et nombre d’animaux. Pour montrer la puissance de la scutellaria, il fit un jour diviser en deux bandes un troupeau de cochons qui avaient été mordus par un chien enragé, et toute la portion à laquelle il administra cette plante guérit, tandis que celle qui n’en prit point, mourut. Il laissa son secret à ses trois enfants, parmi lesquels il y avait une fille, qui traita la rage comme ses frères, lesquels exerçaient d’ailleurs, ainsi que leur père, des professions manuelles. L’ouvrage où nous puisons ces renseignements rapport des cas de guérisons d’hydrophobie, opérés par ces trois personnes.« 

 

Alors d’accord, il ne s’agit souvent que d’un cas. Mais à l’époque, on ne devait pas voir beaucoup de cas d’hydrophobie déclarée. En effet, non seulement les gens utilisaient de préférence des gris-gris style omelette ou clef de Saint-Hubert (qui marchaient). Mais en plus, les médecins se targuaient de prévenir la plupart du temps l’apparition de la maladie avec la chirurgie de la plaie, les ventouses, les bains de mer, le mercure, etc… Donc, les fois où on aboutissait vraiment à la rage ne devaient pas être nombreuses. Et un médecin, s’il pouvait éventuellement voir quelques cas de morsure d’animal enragé dans sa vie, ne devait voir de cas de rage déclarée que très rarement. Dans ces conditions, une guérison pouvait représenter 10 à 50 % des cas observés jusque-là par le dit médecin, voire plus.

En France, on a vu qu’il y avait 19 morts par an vers le milieu du 19ème siècle, qui auraient dû théoriquement représenter aussi le nombre de cas total. En supposant qu’il y ait eu ne serait-ce que 10 cas par an de personnes guéries par des traitements divers, très peu de médecins auraient vu de personnes guéries par leurs traitements. Et pourtant, on serait déjà arrivé à 34 % de guéris au niveau national ; donc quelque chose en complète contradiction avec ce que nous assure la théorie officielle actuelle.

Par ailleurs, on a quand même le témoignage de Spalding, parlant de 830 hommes et 1100 animaux guéris par la scutellaria lateriflora. Probablement que tous n’étaient pas des cas déclarés. Mais on devait quand même en avoir quelques dizaines sur l’ensemble, ce qui représente déjà un nombre de cas non négligeable. Et Goeden parle de 2 guérisons sur 4 hydrophobies complètement déclarées, ce qui fait 50 % de guérison.

Donc, on obtenait des guérisons quand la maladie était déjà déclarée, alors qu’elle est supposée être mortelle à peu près 100 % du temps. Là-encore, c’est tout simplement parce que la maladie n’a jamais existé. Du coup, quand le traitement n’était pas létal, la personne survivait.

 

 

Par ailleurs, quand on lit les divers documents sur la rage, on n’a pas l’impression que le taux de conversion vers la maladie est de seulement 10 % en moyenne.

Dans, « Recherches sur la rage », par Andry, 1780, page 83 :

« En 1766, M. Baudot traita avec le même succès, par les frictions mercurielles, trois personnes, dont l’une avait été mordue par une vache, la seconde par un chien, et la troisième par un loup. Ces trois animaux étaient atteints de la rage. Il faut aussi observer que le loup avait mordu trois personnes, dont deux périrent de cette maladie ; la première, avant l’administration d’aucun remède ; la seconde, le 43ème jour après la blessure ; mais différents accident contribuèrent à empêcher l’effet des remèdes prescrits par M. Baudot.« 

Donc, pour le premier témoignage, on trouve 75 % de personnes qui tombent malades après une morsure (et on aurait pu avoir 100 % si le troisième n’avait pas été traité avec succès). Chiffre qui n’a donc rien à voir ceux précédemment avancés. Et ce qui est à remarquer, c’est que ça n’étonne pas du tout Andry. Il ne cherche pas à expliquer ce fait. Ce qui laisse à supposer qu’il considérait ce pourcentage comme normal.

Dans « Dictionnaire abrégé de thérapeutique« , Lad. A. Szerlecki de Varsovie, 1837, page 247 :

« Daniel Johnson, qui a traité dans l’Inde beaucoup d’hommes mordus par des animaux enragés, a publié que toutes les fois qu’il eut le temps ou la permission d’imprégner le système de mercure avant que les symptômes d’hydrophobie ne se fussent manifestés, ceux-ci furent toujours prévenus. Il ajoute que « parmi les personnes mordues, celles qui, par des préjugés religieux, plaçaient leur espoir dans les prière et les brames, mourraient constamment, tandis que celles qu’on faisait saliver étaient invariablement préservées de la rage » (Dict. des sc. méd., XLVII, p. 116.)« 

Donc, selon Johnson, on avait 100 % des mordus qui tombaient malades et mourraient. Et là non plus, ça n’étonne pas du tout Szerlecki. Pourtant, normalement, pour les cas où le taux aurait dépassé fortement les 15 %, les auteurs auraient dû signaler ce fait.

Dans, « Recherches sur la rage », par Andry, 1780, page 196 :

« La même année, du 10 au 22 avril, un, ou plusieurs loups enragés faisant des ravages dans une étendue de dix à douze lieues de la banlieue de cette ville et au-delà, blessèrent vingt-quatre personnes qui furent conduites à l’hôpital général, par ordre de Monsieur l’Intendant de cette Généralité ; dix-huit de ces infortunés périrent dans les accès les plus violents de la rage.« 

Donc là, on a 75 % de morts. Et encore, ils étaient à l’hôpital, donc soignés un minimum. Et là encore, ça n’étonne pas l’auteur.

Dans le même livre, page 108 :

« Observations de M. Le Jau

Le 20 juillet 1771, M. le Jau, médecin surnuméraire de l’hôpital militaire de Lille, fut mandé au château du petit-Thouars, pour donner ses avis à quelques personnes qui avaient été mordues, ou blessées par un loup enragé, le 12 juin précédent. Il n’y avait aucun doute sur la nature de la maladie : de douze personnes qui avaient été mordues, ou blessées par ce loup, sept étaient déjà mortes hydrophobes, malgré les bains de mer, un remède que l’on regarde comme spécifique contre la rage dans l’abbaye de Fontevrault, mais qui n’eut aucun effet, non plus que le secret possédé par des habitants d’un bourg nommé Rozier, qui est entre Saumur et Anger.

Il reçoit cinq blessés, qui furent tous mis dans le château du petit-Thouars. M. le Jau ne vit sur ces cinq blessés que trois qui eussent un besoin absolu de remèdes, les deux autres n’ayant point été infectés par la salive du loup. De ces trois, il n’en traita que deux. La dame du château renvoya le troisième chez ses parents, et cet infortuné périt enragé dix jours après. »

Donc ici, 8 morts sur douze mordus, soit 66 %. Mais en fait, il n’y en a eu que 2 de soignés. Donc, sur 10 personnes mordus et non soignées, on a 8 morts, ce qui fait 80 %. Et là non plus, ça n’étonne pas Andry.

Même livre, page 111, on a les observations de M. Mafars de Cazeles. Je résume, puisque l’histoire court sur 10 pages.

Le 24 mars 1772, 4 personnes se font mordre par un loup enragé. Une première personne meurt après avoir consulté un guérisseur (avec les 3 autres) qui les avait envoyées prendre des bains de mer. Puis, c’est une deuxième, malgré les soins de Mafars. Les deux autres sont soignées par Mafars et survivent.

Donc là, on a 50 % de morts, sans que ça n’étonne l’auteur. Et en fait, si on considère seulement les personnes non soignées, ça fait 100 %.

page 125 du livre d’Andry :

« Observation de M. Oudot.

M. Oudot, médecin, et notre correspondant à Besançon, nous a communiqué une observation qui a été lue dans l’assemblée du 17 décembre 1776.

… Dans le courant de février 1762, un chien enragé parcourut les environs de Besançon, et mordit cinq personnes, dont quatre hommes et une femme. Cette dernière m’ayant fait appeler à l’instant même, je ne perdis point de temps, et commençait dès-lors le traitement qu’on a coutume de faire en pareille circonstance, et tel enfin qu’il vient d’être publié par le gouvernement. (note d’Aixur, friction mercurielles)

… Pendant le temps du traitement, je m’informais de l’état des autres personnes qui furent mordues par le même chien, et j’appris qu’elles étaient mortes dans le paroxysme d’une rage bien caractérisée, ce qui me prouva que le chien qui avait mordu ma malade était vraiment enragé« 

Pour résumer là encore, on apprend que la femme, qui n’avait pas été mise au courant de la mort des autres, a survécu 4 mois en parfaite santé. Puis quand elle a appris que les autres étaient morts, est devenu enragée, et est morte quelque jours après. Au passage, les autres sont morts seulement 8 à 10 jours après l’accident.

Donc, là, on a 100 % de morts.

Page 152/153

« Dans le mois de mai 1778, un chien enragé fit beaucoup de ravages dans différentes campagnes du Roussillon ; il mordit plusieurs bestiaux qui moururent enragés ; il mordit aussi, en différents endroits, plusieurs personnes qui, ayant négligé de faire des remèdes essentiels, sont mortes de la rage.« 

Si seulement une partie étaient morts, ça aurait été signalé. Mais tel que c’est présenté, il est clair que, là encore, on a 100 % de conversion vers la maladie (et chez les animaux aussi).

Dans « The Boston Medical and Surgical Journal, Volume 28 », Cupples, Upham & Company, 1843, page 134 :

« Trois frères d’une victime infortunée de cette maladie, ont été mordus par elle durant sa phase enragée, et tous moururent tôt ou tard, d’une hydrophobie marquée.« 

Donc, là, on a 3 frères mordus par un être humain, et on a 100 % qui tombent malades et qui meurent.

Dans « Traité analytique de l’hydrophobie ou rage et les moyens de la guérir », François-Marie-Philippe Levrat, 1808, page 22 :

« Balthasard Thieneus assure qu’un paysan, sa femme, ses enfant et plusieurs autres personnes furent attaquées de la rage après avoir bu du lait d’une vache enragée.« 

Donc là, on a au minimum 6 personnes, et probablement au moins 8 qui ont été atteintes. A priori, il n’y a pas de personnes ayant bu de ce lait qui n’ont pas été atteintes. Donc, là encore, on aurait 100 % de personnes tombées malades. Bien sûr, ici, l’histoire du lait est en contradiction avec la théorie actuelle. Mais ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est que pour l’auteur, le fait qu’on ait 100 % de contaminés qui tombent malades ne l’étonne pas le moins du monde.

Dans « M. Pasteur et la rage, Exposé de la méthode Pasteur », Dr Lutaud, page 101 (ici) :

« Avant 1803, on n’avait jamais eu connaissance qu’aucun chien eût été attaqué de la rage, soit dans le Pérou, soit dans les contrées qui l’entourent ;

Dans les villes d’Ica et d’Aréquipa, le nombre des personnes qui moururent des suites de morsures de chiens enragés fut plus considérable encore, et les cas observés moins équivoques que ceux dont il vient d’être question. Dans Ica, une seule chienne enragée mordit, dans une nuit, quatorze personnes, dont douze moururent ; les deux qui survécurent avaient été soumises à un traitement médical.« 

Donc, là aussi, on a 100 % de décès chez les personnes non-soignées. Et ça n’étonne en rien l’auteur.

 

Et aucun auteur ne dit jamais, quand il donne un exemple de soin ayant réussi, que c’est peut-être parce que la personne était dans les 85 ou 95 % de gens ne développant pas la rage suite à une morsure (et même 97 % quand la morsure est à la jambe). Donc, si personne ne disait ça, c’est parce qu’on croyait que la maladie se développait quasiment systématiquement chez une personne mordue.

Et dans les livres du 18ème ou du début du 19ème siècle, on ne nous donne que très peu d’exemples de personne mordue, n’ayant pas été soignée, et n’ayant pas développé la maladie. La règle, c’est le développement de la maladie. Pourtant, si on avait constaté que celle-ci ne survenait que rarement, ça devrait être spécifié. Et on nous donnerait donc tout de même quelques exemples de gens mordus et non traités, mais n’étant pas tombés malades. Là encore, si ça n’est pas le cas, c’est tout simplement parce qu’on croyait que la maladie survenait, si ce n’est systématiquement, au moins la plupart du temps, après une morsure.

De la même façon, quand une personne est morte à cause de l’absence de soin, personne ne dit qu’elle n’a pas eu de chance, puisque le taux de conversion vers la maladie n’est que de 5-15 %. Non, c’est considéré comme parfaitement normal.

Donc, tout ça montre qu’en fait, avant les années 1865-80, on croyait que le taux de conversion vers la maladie était proche de 100 % et pas du tout de 5-15 %.

L’évolution soudaine d’un chiffre d’environ 100 % à celui de 5-15 % est donc bien bizarre. Ce qu’on peut se dire, c’est qu’on avait un problème de cohérence. Le fait que jusqu’à récemment, la médecine considérait qu’on pouvait tout à fait prévenir l’apparition de la rage avec le traitement adapté ne collait plus du tout avec la nouvelle théorie microbienne. Avec cette nouvelle théorie, aucun de ces traitements n’aurait dû marcher. Et donc, avec l’ancien taux de conversion vers la maladie d’environ 100 %, le pourcentage de mordus soignés et développant la maladie aurait dû aussi être de pratiquement 100 %. Mais il était souvent de seulement 1 %, comme on l’a vu plus haut. Pour éviter cette incohérence, on a dit que la maladie non soignée ne se déclenchait que dans 5-15 % des cas. Donc, si les soins pratiqués avant marchaient, ça n’était pas parce qu’ils étaient efficaces, mais parce que le passage en phase maladie ne se faisait pas souvent. La réussite des soins en question était donc une illusion. Ca permettait de dire que les soins pratiqués avant la théorie pasteurienne ne marchaient pas. Donc, on a truandé des études pour obtenir ce chiffre de 5-15 % qui était bien arrangeant pour la théorie pasteurienne. Seulement après, comme, le chiffre de 5-15 % n’était pas très impressionnant, on l’a fait remonter à 50 %, au moins pour le grand public. C’était plus motivant pour les vaccinations. Bien sûr, ces 5-15 % de conversion vers la maladie entraient en contradiction avec les témoignages qu’on pouvait trouver dans les livres d’avant, qui laissaient évoquer un taux de presque 100 %. Mais, là, on pouvait arguer que dans les temps anciens, les statistiques étaient faites n’importe comment, et que seules celles faites récemment étaient sérieuses.

Les chiffres proches de 100 % d’avant les années 1865 n’étaient évidemment pas plus justes que les autres. Eux-aussi ne servaient qu’à justifier la peur de la maladie. Et comme là, on n’avait pas d’incohérence à expliquer, on pouvait y aller franco et dire que le pourcentage de mordus développant la maladie était de 100 %.

Evidemment, on répondra que si les chiffres ont été modifiés dès 1865, soit 20 ans avant le vaccin de Pasteur, c’est que ça n’a rien à voir avec Pasteur. Je pense personnellement que c’est un indice qu’il y a eu une conspiration pour imposer la théorie microbienne et la vaccination bien avant Pasteur (ce qui veut dire que celui-ci n’était qu’un pion dans une vaste opération). Donc, bien avant son vaccin, on a fait en sorte de modifier les données concernant le pourcentage de gens mordus devenant enragés, afin de résoudre l’incohérence évoquée plus haut.

Une complication supplémentaire, c’est que d’un autre côté, il fallait que Pasteur ait des tonnes de cas de morts potentiels ; sinon, son vaccin n’aurait eu que peu de succès. C’est pour ça que pour les débuts du vaccin, on a menti dans le sens inverse. On a plus ou moins manipulé le taux de conversion vers la maladie. Plus ou moins, parce qu’on était gêné aux entournures puisqu’on avait dit dans les années précédente que le taux était bas. Donc, selon les personnes auxquelles on s’adressait (grand public ou pas, et même de façon plus ou moins aléatoire) on laissait entendre que tous les mordus auraient contracté la rage, ou on parlait d’un taux de 20 à 50 %, ou encore, on parlait d’un taux de seulement 10-15 %, mais en mettant en avant le taux de 1 % de morts une fois traité par le sérum antirabique. Bref, pendant un temps, on a réalisé le grand écart concernant ces chiffres. Et du coup, on masquait d’autant plus le chiffre des morts d’avant, puisqu’avec de tels taux de conversion, les 19 morts par an des années 1850, ne pouvaient plus conduire qu’à 19 à 190 morsures d’animaux enragés, ce qui était en contradiction avec les quantités avancées par les partisans de Pasteur (par exemple, dans les 3.000 morsures d’animaux enragés en 1886 ou 1887, voir « M. Pasteur et la rage« , Lutaud, 1887, page 89).

 

Donc, comme évoqué au début de l’article, à l’époque, on croyait qu’on pouvait guérir de la rage. Et dans beaucoup de cas, on croyait qu’on pouvait la guérir même si l’hydrophobie s’était déjà manifestée. D’où tous les remèdes proposés. L’hydrophobie n’était pas considérée comme une maladie fatale ; en tout cas, au moins si elle était prise à temps (et même souvent si elle était déjà déclarée).

Et comme la théorie officielle dit que le taux de passage au stade maladie est de 50 %, il est impossible de défendre l’idée que si les remèdes marchaient, c’est parce que la maladie ne se déclenchait pas souvent.

On comprend alors que la médecine moderne soit discrète sur le sujet. Parce que si les gens en étaient conscients, ça remettrait totalement en cause la théorie microbienne de la rage. En effet, dans la théorie actuelle aucun de ces remèdes n’aurait dû pouvoir empêcher la maladie de se déclencher, ou même la guérir. Donc, s’ils le faisaient, c’est bien que celle-ci était tout à fait curable. Et si elle était curable par des méthodes aussi farfelues, alors qu’elle est supposée être virale et mortelle, c’est qu’elle n’existait tout simplement pas.

 

 

1)    Ce que devait être la rage et la cause des quelques morts annuels

 

 

On a vu que la maladie est en réalité une invention. Et effectivement, l’essentiel des cas de supposée contamination n’aboutissant pas à la maladie (grâce aux soins), la plupart du temps, il n’y avait rien.

Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y avait jamais de symptômes ni de morts. C’est vrai que, pour les morts, ça ne concernait qu’un nombre infime de personnes, puisqu’il n’y en avait qu’une vingtaine par an en France au milieu du 19ème siècle. Mais, comme il y avait des guérisons lorsque la maladie était déjà déclarée, le nombre de malades devait être supérieur à 20. De combien ? Ça, mystère. La fourchette pouvait être large. A vue de nez, ça pouvait aller de 50 à 500 par an.

Mais malgré ce faible nombre de morts et quel qu’ait pu être celui réel des malades, il est intéressant de savoir ce qu’il y avait vraiment derrière ceux-ci. Puisqu’on écarte l’hypothèse virale, il est utile de comprendre la cause des symptômes et des morts.

Et d’une façon générale, il est bon d’avoir un panorama un peu complet de la situation (cas inventés, semi-inventés, réels). C’est ce qu’on va faire ici.

 

9,1) Les cas complètement inventés

 

–          Des inventions des journaux

 

Déjà, de nombreuses histoires d’hydrophobie ont surement été inventées purement et simplement par les journaux de l’époque. Le premier témoignage trouvé dans l’ouvrage de Faugère-Dubourg le montre. Donc, souvent, à partir d’une histoire de morsure (ou même sans morsure), ils inventaient des symptômes d’hydrophobie alors que ni le docteur ni les proches n’avaient constaté de telles choses. Et parfois, ils inventaient probablement complètement.

Par exemple, dans « 1516-1700: heurs et malheurs d’une ville et d’une province« , Paul Weiss, ACM Edition, 2000, l’auteur cite « la gazette des annales », éditée apparemment chaque année. Pour l’édition de 1672, on a l’extrait suivant :

« Durant l’années 1672 un loup enragé – wüthiger – rodait dans les parages, semant partout une grande peur. Il sortit de la vallée de Sewen, se rendit ensuite à Sentheim, Guewenheim, Rotheren, Leimbach et finalement à Thann ; il mordit de nombreuses personnes.

Mais ce qu’il y a de plus étonnant encore – was das Allerwunderlichste ware – c’est que ceux qui avaient été mordus furent bientôt pris d’un rire qu’ils n’arrivaient plus à réprimer : ils riaient sans s’arrêter et en moururent. »

Il est clair qu’il s’agit d’un faux témoignage. Pourtant, ça a été publié.

Et bien sûr, puisque le mensonge de la rage venait de l’église catholique, celle-ci devait entretenir l’arnaque, éventuellement via des médecins opérant sous son giron.

 

–          Des racontars de médecins

 

De la même façon, de nombreux médecins ont certainement raconté n’importe quoi.

Parfois, ils devaient inventer à partir de cas de mort alors que la cause n’avait rien à voir. D’autres fois, ils inventaient purement et simplement des cas n’ayant jamais existé.

Bien sûr, ça entrainait un danger que la supercherie ne soit découverte. Mais si ces médecins écrivaient dans des revues spécialisées, ou faisaient des conférences dont le compte-rendu n’était conservé que dans des bibliothèques universitaires, ils n’avaient aucun risque de se faire prendre. Et même les livres publiés en librairie n’étaient la plupart du temps pas lus par les gens du coin où officiait l’auteur (à cause d’une diffusion restreinte, du prix des livres, etc..).

Ce qu’on peut penser, c’est que beaucoup de médecins écrivant sur la rage éprouvaient le besoin de s’inventer une expérience de première main, pour gagner en crédibilité. Comme il y avait pratiquement à chaque fois des témoignages directs dans les livres, ne pas en avoir dans le sien, c’était forcément beaucoup moins bien. Donc, ils n’hésitaient pas à créer des cas imaginaires, ou à transformer la réalité, afin d’assoir leur autorité en la matière.

Et du coup, au bout d’un moment, s’était créé un ensemble important de témoignages quart de faux, demi faux, ou complètement faux, qui renforçait la croyance dans la maladie.

 

9,2) Les cas semi-réels

 

–          Hystérie conduisant à afficher des symptômes d’hydrophobie

 

Concernant ce type de cas, certaines personnes manifestaient des symptômes ; mais ceux-ci devaient relever plus d’un dérangement mental que d’autre chose.

La personne était hystérique, elle savait qu’après une morsure d’animal soi-disant enragé, une personne était supposée devenir hydrophobe. Et du coup, elle se mettait à simuler l’hydrophobie.

D’ailleurs, l’hystérie, le côté impressionnable ou agité de la personne, était un élément souvent mis en avant par les médecins officiels concernant le problème de l’hydrophobie transmissible (rage) ou non transmissible.

Par exemple, on a dans le livre « Cours complet d’agriculture, théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire, volume 8 », François Rozier, 1789, page 499 :

« Les mélancoliques et les maniaques sont ceux qui sont le plus sujets à la rage. Il apparaît que les tempéraments vifs et nerveux y sont aussi très exposés ; on l’a vu souvent se manifester dans le cours des fièvres malignes, et dans les fortes fièvres inflammatoires, telles que la phrénésie, la paraphrénésie, et l’inflammation de l’estomac. »

 

Et cet élément était évidemment encore plus mis en avant par les auteurs sceptiques. Ceux-ci donnent des exemples de personnes qui manifestaient des symptômes d’hydrophobie parce qu’elles croyaient avoir été mordues par un animal enragé. Et quand on leur démontrait que l’animal ne présentait aucune caractéristique de la rage, ces personnes voyaient disparaitre tout d’un coup les symptômes en question. Inversement, des personnes se sentant parfaitement bien tant qu’elles ignoraient que l’animal était mort de la rage, se mettaient à manifester des symptômes une fois informées. On a également des exemples de deux (ou plusieurs) personnes mordues dont une était au courant que l’animal était enragé et une autre qui ne l’était pas. Et la première manifestait des symptômes d’hydrophobie alors que l’autre non.

Bien sûr, il est tout à fait possible que ces histoires soient bidon. Mais ça n’enlève pas qu’il est probable que l’hystérie ait joué un rôle important dans certains cas.

 

–          Peur panique de se faire tuer par les médecins ou les proches

 

Comme on le verra plus en détails ensuite, il semble qu’on pratiquait parfois l’euthanasie sur les gens soupçonnés d’être atteints de la rage. Et ça se savait. Alors, forcément, les gens au courant de ces pratiques paniquaient complètement à l’idée qu’on les déclare hydrophobes et qu’on les tue.

Et la peur d’être déclaré hydrophobe entrainait évidemment le risque d’être considéré comme tel. Par exemple, une personne mordue arrivait à l’hôpital. Affolée à l’idée qu’on la déclare enragée et qu’on la tue, elle devenait très agitée, voire agressive. A cause de ça, on la déclarait enragée.

Et la personne pouvait être d’autant plus agitée et paranoïaque qu’on lui avait administré précédemment des traitements pouvant entrainer des démences (mercure par exemple), ou pouvant désinhiber ou énerver la personne (opiacés, anti-inflammatoires et analogues).

Et évidemment, dans ce cas, la personne avait tendance à refuser les boissons, parce qu’elle avait peur qu’elles contiennent du poison. Du coup, ça pouvait passer pour de l’hydrophobie.

 

9,3) Les cas réels

 

Enfin, il y avait des cas avec de vrais symptômes, et il y en avait aboutissant à la mort.

 

–          Les causes des symptômes

 

– Symptômes liés à la prise de médicaments pour d’autres affections

Ce qui très possible, c’est que des médicaments pris pour d’autres affections aient entrainé des symptômes de type rage. En effet, certains provoquaient des problèmes mentaux, des atteintes oculaires et des inflammations du conduit digestif. Donc, si une personne prenant ces médicaments s’était fait mordre quelques temps avant et qu’on avait finalement déclaré l’animal enragé, on pouvait attribuer les symptômes en question à cette maladie.

C’est le cas du mercure et de l’arsenic.

Rappelons d’abord les symptômes de la rage chez l’être humain :

  • Anxiété
  • Confusion
  • Agitation avec trouble du comportement
  • Hallucinations
  • Insomnies
  • Eventuel délires
  • Production d’une grande quantité de salive et de larmes avec difficulté de déglutition
  • Hydrophobie (la vue d’un liquide provoque une peur irraisonnée)
  • Le contact entraine des sensations de brulures insupportables

 

Or, le mercure provoque de la démence au bout d’un certain temps d’utilisation. C’est un phénomène connu. Donc, sous le coup de la démence, et avec la connaissance des histoires d’hydrophobie, certaines personnes pouvaient tout d’un coup se mettre à refuser l’eau. Le mercure peut également entrainer de l’anxiété, de la confusion, de l’agitation avec troubles du comportement, et des délires. Il entraine aussi une hypersalivation (voir ici), des troubles du sommeil (voir ici). Sur vulgaris medical, on trouve encore une stomatite, c’est-à-dire une inflammation de la bouche, et un gout métallique ; deux problèmes pouvant justifier du refus de boire chez quelqu’un.

L’arsenic entraine aussi un excès de salivation et un gout métallique (voir ici), ainsi que des convulsions et crampes, de la confusion et du délire.

Donc, si une personne prenait des médicaments à base de mercure ou d’arsenic pour une affection quelconque (autre que la rage), se mettait à ressentir ces symptômes, et qu’on découvrait qu’elle avait été mordue quelques semaines ou années avant, on pouvait attribuer ces symptômes à la rage. Donc, il y avait vraiment des symptômes de type rage ; mais en réalité ils venaient des médicaments.

Bien sûr, on pouvait dire aussi qu’il s’agissait d’hydrophobie spontanée. D’où les nombreux cas de cette variante de l’hydrophobie.

 

Concernant plus particulièrement l’inflammation du conduit digestif (bouche, gorge, œsophage, estomac, intestins) liés à la prise de médicaments, voici ce qu’on peut en dire de façon plus détaillée. En réalité, le patient ne refusait pas l’eau par peur psychologique de celui-ci, mais tout simplement parce que celle-ci le faisait souffrir. Et s’il était dans un état de faiblesse rendant difficile le fait de se concentrer pour parler, il devait signaler son refus de boire par des gestes plus ou moins brusques. Le fait d’être dans un état de convulsion et d’hystérie pouvait donner aussi une impression que le refus de boire était lié à une peur panique de l’eau.

Ensuite, c’était le médecin où les proches qui interprétaient ce refus via le prisme de la théorie médicale sur l’hydrophobie et inventaient l’idée que le patient avait manifesté des symptômes de peur panique de l’eau. Le moindre mouvement de refus un peu brusque ou répété devenait alors une preuve qu’il y avait hydrophobie.

L’inflammation de la zone bouche-gorge-œsophage était possible parce qu’à l’époque, les médicaments n’étaient pas mis dans des gélules comme maintenant. Donc, même s’ils passaient rapidement dans l’estomac, ils pouvaient parfois provoquer une inflammation de la zone en question.

D’ailleurs Bosquillon dit dans son livre « Mémoire sur les causes de l’hydrophobie: vulgairement connue sous le nom de rage, et sur les moyens d’anéantir cette maladie« , 1802, page 17 :

« Quantité de causes peuvent d’ailleurs déterminer chez l’homme l’horreur de l’eau : telles sont les inflammations de la gorge, de l’œsophage, de l’estomac et des intestins ; l’affection hystérique ; la suppression d’une évacuation habituelle ; le refroidissement subit lorsque le corps est recouvert de sueurs ; les blessures des nerfs ou des tendons, car on ne peut attribuer qu’à cette dernière cause les symptômes d’hydrophobie dont ont été affectées certaines personnes qui s’étaient déchirées avec un clou, ou qui avaient été mordues par des coqs, des canards, et autres animaux innocents. »

 

La belladone aussi entraine des symptômes de type hydrophobie, comme on va le voir dans la section suivante. Or la belladone était utilisée dans diverses maladies. C’est ce qu’on peut lire dans  » Eléments de matière médicale et de pharmacie« , Apollinaire Bouchardat, Germer Baillière, 1839, page 290 :

« On a vanté la belladone contre les cancers, l’épilepsie, le tétanos, la folie, etc. ; on l’emploie encore assez fréquemment contre la coqueluche. Dans l’asthme essentiel, on retire de l’avantage de l’administration de la belladone à l’intérieur, mais on réussit beaucoup mieux en faisant fumer la feuille sèche ou mêlée avec du tabac.« 

Donc, quelqu’un traité pour ces maladies et s’étant fait mordre pouvait développer des symptômes d’hydrophobie et passer pour enragé. Ce qui est plus particulièrement intéressant, c’est qu’on l’employait parfois contre le tétanos. Donc, si quelqu’un avait été mordu et qu’on le traitait contre le tétanos, il pouvait développer des symptômes d’hydrophobie. Et du coup, on déclarait qu’il s’agissait d’un cas de rage.

 

 

– Symptôme liés à la prise de médicaments contre la rage

Il y avait aussi des médicaments entrainant des symptômes de type rage/hydrophobie qui étaient pris pour soigner la rage ou l’hydrophobie spontanée.

C’était le cas de la belladone. On utilisait aussi le mercure, dont on a vu les effets plus haut.

On trouve beaucoup de citations sur l’utilisation du mercure dans le livre « Recherche sur la rage », d’Andry, entre les pages 100 et 200.

Dans le livre « Dictionnaire abrégé de thérapeutique, ou exposé des moyens curatifs employés par les praticiens les plus distingués » Lad. A. Szerlecki, Etabl. Encyclogr., 1837, page 248, on trouve (on est dans la catégorie « rage ») :

« Locher-Balber indique le traitement mis en usage à l’hôpital de Zurich pour les individus mordus par des chiens hydrophobes (cette méthode est attribuée au Dr Hirtzel). Il consiste : 1° à scarifier profondément la plaie ; 2° à introduire dans celle-ci de la poudre de cantharides ; 3° à appliquer un vésicatoire dans son voisinage ; 4° à entretenir la suppuration de l’une et de l’autre ; 5° à faire des frictions mercurielles jusqu’à ce que la salivation commence.

Outre ce traitement externe, les malades adultes prennent pendant 3 semaines, tous les matins, à jeun, 5 grains de racine de belladone, qu’on remplace par le calomel, lorsque la salivation ne parait pas ; enfin, on cherche à exciter la diaphorèse. (Heckern, Annal., 1825.)« 

Un peu plus loin :

« Munch a recommandé la belladone dans le traitement de la rage. Plusieurs médecins ont encore conseillé l’emploi de la belladone et ont cité des observations plus ou moins concluantes en faveur de ce remède, entre autres : Jahn, Buchholz, Hufeland. Sauter raconte deux cas de rage déclarée, guéris par la belldone donnée à la dose de 8-12 grains.

Meyer cite un cas de guérison. Le malade fut saigné jusqu’à défaillance : 10 sangsues furent appliquées autour de la morsure, qui fut scarifié, saupoudrée de cantharides, et recouverte de cataplasmes chauds. Le calomel fut prescrit à la dose de 4 grains toutes les heures ; on a fait toutes les 3 heures des frictions de 3ij d’onguent mercuriel sur le membre malade et sur l’épine. »

 

Or, la belladone entraine les effets secondaires suivants :

« L’ingestion de belladone peut conduire à des brûlures de la gorge, une augmentation du rythme cardiaque, des nausées et des vomissements, une élévation de la température, une dilatation des pupilles, des hallucinations sensorielles, et des convulsions pouvant entraîner la mort. Les plantes de la famille de la belladone comme le datura, la jusquiame noire ou la mandragore sont riches en alcaloïdes.« 

Ici, on parle d’autres effets :

« Les symptômes principaux de l’empoisonnement par la belladone ou l’atropine sont les suivants : nausées, quelquefois suivies de vomissement ; sécheresse de la bouche et de la gorge, soif, déglutition difficile ou même impossible ; anxiété, lipothymie, cardialgie, coliques, besoin faux d’aller à la selle ; pesanteur de tête, céphalalgie, éblouissements, vertiges, pâleur de la face, hébétude, difficulté ou impossibilité de se tenir debout ; yeux rouges, saillants, hagards, pupilles fortement dilatées et immobiles, vision confuse ou même abolition momentanée ou permanente de la vue ; délire le plus souvent gai, avec sourire niais, mais devenant quelquefois furieux; loquacité, chant, danse, apparence d’ivresse, manie, folie, terreurs; gesticulations variées, contorsions extraordinaires, mouvements fréquents des bras et des mains, mouvements convulsifs, tremblement, trismus, raideur tétanique et momentanée de l’épine ou des membres, faiblesse musculaire générale ; hallucinations les plus singulières ; extravagances, exaltation mentale ; voix frêle, enrouée, quelquefois croupade ; sons confus poussés péniblement, aphonie ; stupeur, somnolence, coma, somnambulisme, léthargie ; respiration courte, précipitée ou irrégulière et oppressive, stertoreuse ; pouls fréquent, fort, vif ou rare, faible et irrégulier ; aversion pour les liquides ; chaleur de la peau, éruption scarlatines, taches gangreneuses ; incontinence d’urine, dysurie, ischurie ; enfin, syncope ou convulsions, soubresauts des tendons, rire sardonique, tuméfaction et sensibilité du bas-ventre ; pouls petit, filiforme ; froid des extrémités, chute des forces, prostration, mort.

Ces symptômes n’existent pas au même degré, ni tous à la fois. Ils se succèdent ou alternent entre eux. Les principaux, tels que les nausées, le vertige, le délire, les spasmes, la difficulté ou l’impuissance de la station debout, la dilatation des pupilles, l’assoupissement, etc., sont variables dans leur invasion. L’assoupissement qui suit quelquefois le délire, se montre dans un assez court intervalle. On a vu le délire reparaître après avoir cessé. Dans l’un des cas décrits par Brunwell, ce symptôme, qui arrive ordinairement assez près de l’invasion, ne parut que trois jours après l’ingestion du poison.

Lorsque le malade résiste à l’action toxique de la belladone, ce qui arrive le plus ordinairement, les accidents, après un, deux, ou trois jours, se dissipent peu à peu ; mais la dilatation des pupilles ne cesse que longtemps après les autres symptômes ; quelquefois même divers accidents nerveux, tels que des tremblements, des vertiges, du trouble dans la vision, persistent pendant trois ou quatre semaines. On a quelquefois vu des individus empoisonnés par cette plante rester dans un-état d’idiotisme, ou conserver une paralysie, soit complète, soit partielle.« 

Sur la page Wikipédia sur les anticholinergiques (belladone et mandragore), on trouve ça :

« hypersensibilité aux stimuli sonores

– troubles visuels

  • éblouissements brefs
  • champ visuel rétréci en tunnel
  • vision floue
  • modifications transitoires du champ visuel

hallucinations sensorielles (visuelles, auditives, etc)

  • surfaces et angles mouvants
  • surfaces en relief
  • lignes mouvantes, araignées, insectes
  • apparition d’éléments inexistants que le sujet ne distingue pas de la réalité« 

Donc, la belladone pouvait entrainer des éblouissements, des hallucinations visuelles et auditives, des problèmes mentaux, une irritation de la gorge et une difficulté ou même une impossibilité de déglutir. Du coup, si quelqu’un arrivait avec de l’eau et que la lumière se reflétait sur sa surface mouvante, cette vision pouvait devenir très désagréable pour la personne. Si elle se trouvait dans un état de délire furieux avec gesticulations, elle pouvait avoir un réflexe violent pour que cette vision pénible s’éloigne. Et la même chose pouvait être vraie pour le bruit de l’eau coulant dans un verre. Tout ça donnait l’impression que la personne refusait l’eau, alors que c’en était la vision et le bruit qui l’insuportaient.

Et puis, une éventuelle brulure de la gorge, ou une difficulté à déglutir provoquée par la belladone pouvait entrainer le refus, ou même simplement l’impossibilité de boire.

Et donc logiquement, parmi les symptômes de la belladone, il y a : « aversion pour les liquides« , soit exactement le même symptôme que pour la rage.

Et bien sûr, les autres symptômes pouvaient tout à fait évoquer la rage.

Par ailleurs, comme dit dans le texte cité, la dilatation des pupilles causée par la belladone met plus de temps à disparaitre après l’arrêt du produit que les autres symptômes (au moins une ou deux semaines). Donc, malgré l’arrêt de la belladone, la personne continuait à avoir des problèmes de vision et éventuellement d’hydrophobie. Ce qui permettait d’accuser la rage plutôt que le médicament.

 

Et comme on l’a vu, on utilisait le mercure (le calomel en est aussi ; c’est du chlorure mercureux), par friction ou par voie digestive. La friction se faisait dès le début, tandis que l’administration par voie digestive se faisait soit tout de suite soit un peu plus tard. On l’utilisait pour provoquer ou augmenter la salivation, ce qui était supposé faire sortir le poison rabique des glandes salivaires. Donc, quand on dit que la rage entrainait un excès de salivation, en réalité, ça venait du mercure.

Et on a vu plus haut que le mercure entraine d’autres symptômes de type rage : de la démence, de l’anxiété, de la confusion, de l’agitation avec troubles du comportement, des délires. Et ça peut provoquer également une inflammation de la bouche et un gout métallique, qui peuvent là-aussi entrainer le refus de boire et donc une impression d’hydrophobie. Donc, la prise de mercure pouvait tout à fait simuler la rage.

Il faut noter qu’apparemment, plus les morsures étaient nombreuses, plus on employait de mercure.

C’est ce qu’on peut lire dans le « Manuel complet des bourgemestres échevins et conseillers communaux« , par M. J. M. Havard, 1832, p.41 :

« Si le péril est imminent, si les morsures ont été nombreuses, si le malade a été sans secours, il faut agir de manière à exciter promptement la salivation. On peut employer une demi-once, une once, et même plus de cet onguent, surtout s’il ne contient qu’un tiers de mercure. L’on a vu par cette méthode rigoureuse réchapper des individus chez lesquels la maladie était déjà déclarée.« 

Détail : il semble que l’usage du mercure en traitement interne contre la rage remonte aux environs de 1696, par un certain Jean Ravelly.

 

Si les symptômes ne survenaient pas toujours, c’est probablement parce que malgré tout, les dangers de ces produits devaient être en partie connus. Donc, les doses administrées devaient être suffisamment faibles pour éviter généralement ces effets.

Et puis, à priori, ces traitements n’étaient pas très utilisés. En effet, le problème déjà, c’est que les morsures de loups et de chiens errants, il ne devait pas y en avoir beaucoup. Ces animaux évitent l’homme. Donc, les gens ne devaient en rencontrer que très rarement. Et même quand on les rencontre, ils ne sont quasiment jamais agressifs.

Dans le livre « Histoire du méchant loup : 3.000 attaques sur l’homme en France XVème-XXème siècle« , J.M Moriceau, éditions Fayard, 2007, page 260, on parle de 1.857 attaques anthropophagiques (donc pour manger l’homme, pas des attaques fortuites, ou de défense ou sur des cadavres) entre 1421 à 1918, et 1.201 attaques dues à des loups enragés de 1578 à 1887. Ca fait seulement 8 attaques par an en tout, dont seulement 4 de loups enragés.

Surtout que si on regarde les chiffres du côté de l’Amérique du Nord (« Le retour du loup en France« , Nathalie Bugeaud, page 19 ; et aussi dans « Les loups », G. Cardone, Editions Larousse, 2003), aucune attaque de loup n’y a jamais été signalée. Même chose pour l’Europe de l’Est. Pour la Suède seulement 4 cas ont été recensés durant toute son histoire, pour la Norvège 1 cas et pour la Finlande 5 cas. Donc, on peut penser que l’essentiel des chiffres français relève de la légende anti-loup. Et comme par hasard, c’est en Italie qu’on trouve aussi d’autres chiffres important d’attaques de loup non enragés (440 sur la période 1400-1800). Or, comme on l’a vu, l’Italie fait partie de la zone où l’histoire de la rage a été inventée par les autorités politico-religieuses.

Evidemment, ces chiffres ne concernent que les loups, et pas les chiens errants. Mais comme les chiens sont supposés être beaucoup moins agressifs que les loups, la proportion de morsures devait être beaucoup moins importante. D’autant plus qu’ils sont moins forts que les loups et donc moins susceptibles de s’attaquer à l’homme. Par contre, c’est vrai qu’ils devaient être plus nombreux. Donc, il est possible que les morsures venant des chiens errants aient été un peu plus nombreuses que celles des loups. Mais même si elles l’avaient été 10 fois plus, ça n’aurait fait malgré tout que 40 morsures par des chiens errants enragés.

En fait, la plupart des morsures devaient venir des chiens ou des chats domestiques. Seulement, un chat, ça ne fait quasiment jamais des morsures bien graves. Donc, pas de raison de consulter. Seuls les chiens en font. Mais la plupart ne devaient pas mourir après la morsure, et ne pas paraitre malades avant, pendant ou après. Donc, il n’y avait quasiment jamais de raison de penser à la rage. Et un chien qui est à l’article de la mort ne va pas aller mordre son maitre ou un voisin. Il va surtout aller s’allonger quelque part pour être tranquille. Donc, cette catégorie de chiens susceptible d’être considérée comme enragée avaient peu de raison de mordre des êtres humains.

En supposant qu’il y ait eu 2 millions de chiens domestiques en France au 18ème siècle, et que sur ce nombre, il y ait eu 2 % de chiens ayant mordu quelqu’un un peu violemment dans leur vie, ça fait 40.000 morsures. Un chien vit en moyenne 13 ans (voir ici). Donc, chaque année, il y avait 3.076 morsures. Seulement, la plupart n’étaient pas considérés comme enragés. 20 % devaient l’être au maximum, ce qui fait dans les 600 morsures de chiens enragés par an.

Et comme il y avait tous les remèdes du type omelette ou objets religieux qui étaient employés dès la morsure, les cas où les gens étaient traités médicalement devaient être rares.

Donc, sur les 644 (600 + 40 + 4) morsures de chiens errants, loups et chiens domestiques supposément enragés, on avait peut-être 200 personnes par an qui allaient consulter un médecin, maximum.

Donc, on devait quand même rarement consulter un médecin. Et même là, il semble que les traitements n’étaient pas tellement médicamenteux. On pratiquait apparemment beaucoup la chirurgie par incision ou brulure de la plaie (cautérisation), donc quelque chose n’entrainant pas de problème de vision ou d’agression du conduit digestif. Et comme la maladie n’existe pas, forcément, la plupart du temps, les docteurs arrivaient avant que les symptômes ne se manifestent (surtout qu’en cas de morsure profonde, on allait consulter rapidement bien sûr) ; à moins que la personne ne soit impressionnable ou hystérique et qu’elle ne se mette à simuler la maladie bien sûr.

C’est vrai que dans une proportion non négligeable des cas, on faisait des frictions de produits divers sur la plaie (en particulier de mercure, comme on l’a vu plus haut). Produits souvent toxiques. Mais comme il ne s’agissait que de frictions, la dangerosité était moindre qu’avec l’ingestion d’autres produits du même genre.

Donc, relativement souvent, des symptômes divers, dont certains de type rage, pouvaient apparaitre. Mais comme on considérait qu’on sauvait les gens au moins 95 % du temps, ces symptômes devaient être considérés la plupart du temps comme venant du traitement et on ne s’affolait pas plus que ça.

Et forcément, ça ne faisait pas beaucoup de cas de rage déclarée. Si sur les 200 personnes mordues étant allées consulter un médecin, 5 % étaient considérées comme développant finalement la rage, ça faisait seulement 10 personnes par an.

Peut-être aussi qu’on traitait préventivement les proches ayant été seulement légèrement mordillés ou léchés par l’animal. Ça pouvait multiplier par 2 ou 3 le nombre de personnes traitées et développant finalement la rage à cause des médicaments, soit 20 ou 30 personnes.

On utilisait aussi les bains de mer, d’huile, de terre, les bains froids, les ventouses, les fumigations, et autres trucs de ce genre non médicamenteux. On parle de diète de 40 jours au pain et à l’eau (Dans « un mal affreux : la rage les merveilleuses médications du médecin bordelais Pierre Desault au XVIIIe siècle », de Serge Fauché), etc… Là-encore, ça réduisait l’usage des médicaments.

Donc, les médicaments étaient utilisés en prise interne dans un très faible nombre de cas.

 

Et quand enfin on utilisait des médicaments en prise interne, il y en avait beaucoup d’autres que le calomel et la belladone. En effet, comme il n’y avait rien d’imposé, beaucoup de médecins faisaient leur traitement dans leur coin. En conséquence de quoi, ceux-ci se comptaient par centaines. Pour en citer quelques-uns, on avait :

  • L’opium
  • La scutellaire (apparemment un analogue d’opiacé)
  • La poudre d’écrevisses ou d’écailles d’huîtres calcinées
  • Des décoctions de racines de rosiers sauvages
  • Le sucre de saturne (acétate de plomb, jusqu’à 6 à 20 grains par jour), éventuellement en combinaison avec la belladone
  • Datura Stramonium (herbe aux fous, 3 à 5 grains, un analogue d’opiacé)
  • Le vinaigre (une livre trois fois par jour)
  • Euphorbia Villosa (appliqué sur la plaie ; et également un verre à jeun, puis dose double le lendemain matin et soir, pendant 9 jours), utilisée en Podolie, Volhynie, Galicie
  • Gentiane amère (Gentianella amarella), en Russie
  • Arsenic
  • Solution de chlore dans de l’eau sucrée
  • Os de seiche en poudre
  • La thériaque
  • Le foie du chien enragé
  • Des scarabées
  • Limaille de cuivre, d’étain
  • Etc, etc…

Donc, là encore, on avait beaucoup de produits non dangereux, ce qui diminuait encore un peu plus le risque que les gens ne développent des symptômes de type rage. Bien sûr, certain de ces médicaments étaient éventuellement dangereux, mais moins que le calomel et la belladone. Et comme ils n’induisaient pas des symptômes de type rage, le médecin pouvait penser qu’ils étaient en phase de guérison.

Certains étaient pratiquement aussi dangereux que la belladone ou le calomel. C’est le cas éventuellement de l’acétate de plomb, de l’arsenic, et de la gentiane amère. Mais, les symptômes n’étaient pas forcément ceux de la rage. Donc, ça ne confirmait pas le diagnostic initial. Et même s’il y avait d’autres produits entrainant des symptômes de type rage, ils devaient représenter tout de même une minorité des médicaments.

Donc, forcément, le nombre de personnes traitées par calomel ou belladone ou autres médicaments entrainant des effets similaires, n’était pas trop important ; et le nombre de malades et de morts non plus.

 

 

  • Empoisonnements

Il est bien possible aussi que des personnes aient été empoisonnées par des proches. L’assassin pouvait inventer une histoire de morsure remontant à des mois ou des années, afin de faire passer l’empoisonnement pour de la rage.

Il pouvait y avoir aussi des empoisonnements accidentels. Des enfants pouvaient ingérer des baies ou des champignons mortels (la belladone, évoquée plus haut, pouvait passer pour une cerise). S’ils avaient été mordus moins d’un an auparavant, on pouvait attribuer les symptômes à la rage. Et ça pouvait être la même chose s’ils avaient été mis simplement en contact avec un animal mort depuis. Je rappelle que le simple fait d’être léché par un animal enragé était considéré comme éventuellement contaminant. Donc, pour peu que l’animal soit mort dans des conditions imaginées comme suspectes, on pouvait accuser la rage. Et certaines fois, il ne devait même pas y avoir besoin de conditions soi-disant douteuses ; la simple mort de l’animal était suffisante, surtout si c’était un carnivore.

Enfin, s’il s’agissait d’un enfant en bas-âge, ou pas encore à « l’âge de raison », il ne devait parfois y avoir besoin d’aucune preuve de contact avec un animal, puisqu’on pensait que l’enfant n’était pas encore assez mature pour se souvenir d’une rencontre suspecte.

Par exemple, dans l’ouvrage « Réflexions sur la non-existence du virus rabique, ou objections adressées à M. le docteur Etienne Plaindoux relatives à son observation sur la rage, insérée dans la Revue médicale, cahier de juin 1826« , Gaspard Girard, 1827, page 16 :

« Un enfant badine avec un petit chat qui le mord au doigt ; cet enfant en colère le jette dans un puits. Environ un mois après cet évènement il signale tous les accidents de la rage ; on le traite en conséquence ; cet enfant meurt.

L’estomac et les intestins étaient fortement enflammés. On apprend qu’il avait mangé des baies de laurier rose. (Audry.)« 

Pour en revenir aux racontars de médecins, si l’un d’entre eux voulait publier un livre ou simplement un article pour se faire bien voir de la profession, il pouvait profiter de ce genre d’évènement pour enjoliver un peu les symptômes et obtenir ainsi un cas de rage bien présentable.

Alors, bien sûr, ça ne devait pas représenter un nombre de cas énormes. Mais, là, on avait des personnes avec directement des symptômes de supposée hydrophobie. Et on devait d’autant plus les considérer après-coup comme enragées qu’elles étaient mortes. Or, on a vu que le nombre de personnes mourant de la rage était très faible (19 par an en France). Donc, avec seulement 5 ou 10 cas de ce genre, on avait la moitié des morts de l’année.

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