La rage (partie 4/4)

 

–          Les causes des morts

 

Au final, si ces personnes mourraient, c’était souvent à cause des médicaments que les médecins leurs prodiguaient. La belladone, le calomel, l’acétate de plomb, l’arsenic, et d’autres médicaments dangereux pouvaient tout à fait entrainer la mort au bout de quelques jours ou semaines.

Mais en plus, on pratiquait la saignée. Saignée qui était accompagnée générale de l’utilisation de laxatifs ou de vomitifs.

Par exemple, dans « La rage à la fin de l’ancien régime dans le cours complet d’agriculture de l’abbé Rozier : étude médicale et vétérinaire » :

« La saignée et les autres évacuants laxatifs et antiphlogistiques, peuvent beaucoup soulager les malades ; il faut les faire boire abondamment, surtout lorsque l’horreur de l’eau n’est pas encore déclarée« 

Et comme on l’a vu par ailleurs, à l’époque, on pouvait prélever jusqu’à 3 litres par saignée. Donc, la saignée et les purgatifs pouvaient eux aussi tuer la personne.

Bien sûr, les empoisonnements fournissaient aussi leur nombre de morts.

 

Enfin, la personne pouvait mourir tout simplement de mort naturelle, si la morsure était trop profonde (par exemple si elle avait entrainé une gangrène ou une hémorragie interne) ; ou de mort semi-naturelle dans le cas où l’hémorragie avait été favorisée par la prise de médicaments fluidifiant le sang, et dans celui où la gangrène avait été favorisée par la saignée.

A ce sujet, on apprend dans ce document de Sanofi-Pasteur que : « 30 à 50% des sujets qui meurent de la rage sont des enfants de moins de 15 ans. Les enfants sont particulièrement à risque car ils sont souvent mordus à la tête, au visage et aux bras » (les chiffres viennent de l’OMS).

Effectivement, dans la mesure où avec les enfants, les blessures sont souvent faites à la tête ou au cou, le risque qu’elles soient mortelles par hémorragie interne est beaucoup plus grand (hémorragie éventuellement favorisée par des médicaments fluidifiant le sang).

Or, entre le 15ème et le 19ème siècle, 85 % des attaques de loups concernaient des enfants de 6 à 15 ans (Les loups, G. Cardone, p.114 ; Histoire du méchant loup, J.M Moriceau, p.376, ou ici, p.18). Donc, la population des personnes mordues étant très majoritairement composée d’enfants, la probabilité de mort naturelle ou semi-naturelle était d’autant plus importante.

Par ailleurs, le fait que les enfants aient plus souvent des blessures à la tête ou au cou devait faire qu’ils développaient plus facilement des symptômes plus ou moins de type hydrophobie. En effet, on faisait des frictions de mercure ou autres produits chimiques au niveau de la plaie. Donc, chez les enfants, ça se faisait souvent au niveau de la tête. Et le mercure ou les autres produits pouvaient passer plus facilement dans le cerveau, la bouche, ou les yeux et ainsi engendrer des symptômes de rage. Donc, non seulement ils avaient plus de risques de mourir, mais ils avaient également plus de risques d’être considérés comme atteints de la rage.

 

Il y avait aussi des euthanasies, aussi bien de la part des proches que des médecins.

On trouve cette idée évoquée au tout début du livre de Faugère-Dubourg (pages 6 à 7). Celui-ci ne semble pas la prendre au sérieux, mais en parle quand même.

« C’est cependant ce dont nous sommes menacés, monsieur le Préfet, je rougis de vous le dire, et vous vous en fussiez convaincu vous-même si, le jour de la mort de M. Balleux, vous aviez pu entendre les conversations qui se tenaient dans les communes de Montreuil, Vincennes et Saint-Mandé.

Ce que l’on disait, demandez-vous ? Oh ! mon Dieu, tout simplement que la police avait empoisonné le malade, que vous étiez le médecin suprême de ces cas désespérés, et, à mon énergique protestation contre de tels blasphèmes, on répondait de cet air gouailleur qui prend en pitié l’ignorance et l’ingénuité :

« Ah ça, mais d’où venez-vous, cher monsieur, que vous ne savez pas ce qui n’est un secret pour personne ? – Dès qu’un individu est déclaré hydrophobe par un médecin, on avertit la police qui, tout aussitôt, mande ses agents avec la boulette. »

La boulette ?

« Eh oui, la boulette, la dragée, le poison enfin. C’est le médecin qui l’administre en présence des agents du préfet de police ; le malade meurt, on dresse procès-verbal et tout est dit. »

Comment, tout est dit ?

« Que diable voulez-vous qu’on fasse de plus ? Puisque l’enragé est condamné d’avance, puisqu’il est impossible qu’il en revienne, c’est bien le moins qu’en mettant les autres à l’abri de sa fureur contagieuse, on lui rende le service d’abréger ses souffrances. Ici, à Paris, l’usage de la boulette est consacrée, mais en province on leur ouvre les quatre veines ou on les étouffe sous un matelas. »

J’étais abasourdi : – ces monstrueuses explications, que je rapporte littéralement, ne rencontraient pas un incrédule et une femme qui était là jura même ses grands dieux qu’elle avait assisté en personne à l’exécution d’un de ces hydrophobes; qu’on saigna aux quatre veines, affirma-t-elle, après l’avoir attaché dans un bain.

Encore une fois, de tout cela personne ne doutait. »

Puisque Faugère-Dubourg semble en parler malgré tout comme d’une croyance fausse, je ne comptais pas évoquer la possibilité de l’euthanasie. Seulement, j’ai trouvé d’autres sources qui en parlent. Et cette fois, sans émettre de doute sur son existence.

On peut lire en effet dans un passage déjà cité plus haut de « M. Pasteur et la rage, Exposé de la méthode Pasteur« , Dr Lutaud, page 91 (ici) :

« Quand il est question de rage on se rabat encore sur un cas qui aurait eu lieu dans notre région, il y a plus de 80 ans, chez une demoiselle qu’on étouffa entre deux matelas.

Dr Gipoulou

Libos, 28 juin 1886″

Ce qui rejoint exactement la description de Faugère-Dubourg concernant la façon d’euthanasier en province.

 

Quand on cherche un peu plus, on trouve de plus en plus de références. Ainsi, dans l’opuscule « Traité sur l’hydrophobie ou rage, moyen de prévenir et de guérir cette maladie » Frédéric Buisson, 1836, page 6 :

« En France, près de Lyon, un homme hydrophobe fut mis par ses voisins entre plusieurs matelas. Croyant l’avoir étouffé, on se retire, ayant le soin de fermer la porte. Quelques instants après, on aperçoit l’homme à la croisée, priant qu’on lui ouvre la porte, disant qu’il n’était plus enragé. Alors, ses voisins, parmi lesquels il avait des parents et des amis, délibèrent si par prudence on ne doit pas lui tirer un coup de fusil. Voyant leur hésitation, il leur dit : « Mes amis, pour vous prouver que je ne suis plus enragé, donnez-moi à boire et à manger. » Et c’est après avoir bu et mangé qu’on lui ouvrit la porte.

A Londres, un jeune homme nouvellement marié devient hydrophobe. Ses amis le placèrent entre deux lits de plume pour l’étouffer. Son épouse, que ses parents retenaient dans une pièce voisine, n’entendant plus crier son mari, eut un pressentiment sinistre ; elle s’arrache de leurs bras, vole à son secours, le découvre et le trouve… mort !… Dans son désespoir, elle eut la présence d’esprit d’ouvrir les croisées…, et l’air lui rendit la vie. Le malade avait sué si abondamment, que sa sueur ruisselait sur le parquet… et il fut guéri.« 

 

Dans le livre « Des erreurs et des préjugés répandus dans la société« , Jacques-Barthélemy Salgues, 1810, page 173 :

« Il est donc constant que l’horreur de l’eau n’est point un symptôme infaillible de la rage, on a vu aussi des malheureux atteints de cette terrible maladie, manger et boire (quoique difficilement) peu d’heures avant leur mort.

Cette observation n’est-elle pas d’une haute importance ? C’était, il y a quelques années, un usage barbare, mais établi dans toute l’Europe, d’étouffer sous des matelas, de saigner de tous leurs membres, ou d’étrangler les infortunés qu’on croyait atteints de la rage, et le signe sur lequel on se décidait ordinairement, était l’horreur de l’eau ; mais si cette horreur peut n’être que l’effet d’une maladie de nerfs, combien de victimes de cette terrible erreur n’a-t-elle pas faites depuis tant de siècles ?

Sans doute, il faut espérer que des lois positives interdiront aux chirurgiens le droit de saigner un hydrophobe pour lui donner la mort, et à ses parents celui de le faire périr plus cruellement encore. Qui croirait qu’il s’est trouvé, dans des familles, des individus dénaturés, qui, ravis de trouver des symptômes d’hydrophobie dans des malades dont ils étaient les héritiers, se sont empressés de les étrangler.

« Je sais, dit le docteur Bourriat, que pendant la révolution, un nouveau Caïn voyant son frère atteint de convulsions, d’autorité privée, le déclara enragé, et qu’aidé de quelques complices, il étouffa ce malheureux entre deux matelas. »« 

Ici, on voit aussi que, comme on pouvait s’y attendre, des gens prenaient prétexte d’une soi-disant hydrophobie pour éliminer des parents.

 

Dans « Le Nain jaune, Volume 2 » (journal des arts, des sciences et de la littérature), Louis Auguste François Cauchois-Lemaire, 15 juin 1815, page 351 :

« L’Aristarque racontait dernièrement une histoire dans laquelle il renchérissait sur toutes les aventures du Messager Boiteux (note d’Aixur : il s’agissait d’un almanach suisse ; l’Aristarque français était lui un journal politique et littéraire). Il s’agit d’un hydrophobe qui, renfermé la nuit à l’Hôtel-Dieu, allume de la paille au milieu de sa chambre pour obliger à lui ouvrir, et qui, plus effrayé dans son délire que les imbéciles d’infirmiers chargé de le contenir, s’échappe par une fenêtre et se sauve sur les toits : alors un médecin fait percer le toit, saisit ce malheureux à bras-le-corps, et le porte dans son lit. Là-dessus M. le rédacteur déclare tout net que le dévouement de ce médecin a préservé des fureurs de l’hydrophobe une partie des malades de ce grand hôpital.

Les petits enfants qui auront eu connaissance de ce beau récit n’auront pas manqué d’en conclure qu’un hydrophobe mange tous ceux qu’il rencontre ; et les grands enfants, dont les jugements sont bien plus à craindre, en auront tiré la conséquence qu’il faut promptement tuer un hydrophobe, ou du moins l’étouffer entre deux matelas suivant une antique et bénigne coutume.

Le journaliste n’eût-il pas agi plus sagement si, après avoir rendu justice au zèle et au courage du médecin, il eut dit, ce qui est conforme à la vérité, que les hydrophobes ne sont pas plus dangereux que d’autres malades en délire ; qu’ils ne mordent personne ; que celui-ci même, dont la rage était extrême, suivant le récit, n’a point cherché à mordre, et s’est laissé emporter dès qu’il a été saisi. L’Aristarque aurait encore pu ajouter que les infortunés de la classe du peuple conduits pour cette maladie à l’Hôtel-Dieu sont, pour la plupart, dans la persuasion qu’on les y tue, ce qui n’est que trop capable d’augmenter leur délire ; et qu’enfin les menaces toujours sans effet que quelques-uns d’entr’eux ont faites de mordre ceux qui les entouraient, tiennent uniquement au préjugé vulgaire que dans cet état ils doivent mordre comme des chiens. »

 

Dans l’opuscule « Traité de l’hydrophobie: (vulgairement appelée rage) suivi des moyens préservatifs et curatifs« , Frédéric Buisson, 1825, page 21 :

« Il y a beaucoup de personnes qui meurent d’hydrophobie, sans vouloir déclarer qu’elles ont été mordues. Voilà leur raisonnement : A quoi nous servira cet aveu ? ou on nous renfermera dans un hôpital, et là, liés et garrottés, on nous ouvrira les quatre veines, ou l’on nous étouffera entre deux matelas. Voilà la pensée du peuple, et ce qui a empêché jusqu’à ce jour de connaitre la véritable marche de cette affection.

Il est dans les choses possible que dans des temps reculés, on ait employé des procédés aussi barbares, mais maintenant, on cherche tous les moyens imaginables pour les sauver…« 

Contrairement à Buisson, on peut penser que beaucoup de personnes ont échappé à la mort parce qu’elles ont évité d’en parler.

 

Dans le livre « Vivre avec le loup? Trois mille ans de conflit« , Jean-Marc Moriceau, 2014, début du chapitre 19 :

« A cela s’ajoutait l’horreur de risquer d’être étouffé entre deux matelas ; les accès pouvant être furieux et le risque de contagion non totalement exclu, ce genre de pratique était d’usage dans divers pays. En 1810, Bernard Balzac proposa un projet de loi car « il est nécessaire d’empêcher l’étouffement des sujets mordus par des loups enragés ou qui deviennent hydrophobes, et de faire cesser cette crainte assassine. »« 

 

Dans « Dictionnaire des sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens » MM. ADELON, ALIBERT, BARBIER, etc., 1820, page 140 (ici) :

« L’effroi qu’elle cause a même fait tuer des personnes qui en étaient atteintes ! Il n’y a pas encore bien longtemps (en 1816, par exemple) que les journaux ont fait pousser à toute la France un cri d’horreur, en rapportant qu’on avait fait périr un hydrophobe entre des matelas. Combattons, autant qu’il est en nous, un préjugé aussi féroce encore enraciné dans presque toute l’Europe. Immoler promptement les hommes qui ont le malheur d’être attaqués de la rage ne peut jamais être nécessaire pour la sûreté de ceux qui les entourent, puisqu’il n’est pas prouvé qu’une seule fois la maladie ait été communiquée d’un homme à un autre. »

 

Dans « Dictionnaire des sciences médicales: composé des meilleurs articles puisés dans tous les dictionnaires et traités spéciaux qui ont paru jusqu’à ce jour, Volume 12« , Aug. Wahlen, 1830, page 141 (ici) :

« Jadis, on étouffait les hommes enragés, comme encore aujourd’hui on assomme les chiens qui ont la rage ; il n’y a pas fort longtemps que, dans une commune de France, un hydrophobe a été suffoqué entre deux matelas. Le vulgaire croit même que l’on en agit ainsi dans les hôpitaux ; cette absurde croyance provient de ce que les enragés tardent fort peu à périr.« 

 

Dans « La rage et Saint-Hubert », Henri Gaidoz, 1887 pages 100 à 103 (ici) :

« La façon horrible dont, presque jusqu’à notre temps, on se débarrassait des personnes atteintes de la rage, était bien propre à aggraver le désordre mental de ceux qui se sentaient ou se croyaient atteints. C’était une croyance populaire (et on la trouverait peut-être encore aujourd’hui chez quelques personnes) que lorsqu’un individu mordu arrive à la crise nerveuse dans laquelle il s’agite et se débat comme un furieux, on doit l’étouffer entre deux matelas.

C’était regardé comme usage aussi naturel qu’il l’est chez certains peuples sauvages de tuer les vieillards devenus bouches inutiles, et ceux-ci ne disent rien à l’encontre, c’est l’usage. L’usage d’étouffer les enragés s’est continué presque jusqu’à notre temps, à cela près qu’on employait aussi d’autres procédés analogues pour guérir ces malheureux.

De véritables crimes même se sont commis sous ce prétexte, pour se débarrasser de gens dont on voulait hériter, et le proverbe : « Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage » s’est quelquefois appliqué à des hommes.

Au XVIIe siècle, Mme de La Guette, dans ses Mémoires, a entendu parler de personnes mordues par un loup enragé : « qu’on avoit été obligé de tuer à coups de fusil« . Parmi les observations sur la rage que publie Andry s’en trouve une relative à « une pauvre fille, bergère de son état » ses parents et ses proches « s’occupoient déjà du moyen de lui ôter la vie » ; l’intervention d’un magistrat empêcha seule cet homicide. La chose se passait à Vignon, en Berry, au siècle dernier (1). Le curé du village écrivait qu’il s’était élevé avec force contre ce projet, mais qu’il n’était pas toujours au pouvoir des pasteurs de persuader.

Ailleurs, à Pavilly, près de Rouen, on veut faire périr une personne par la saignée (2). « J’ai vu, ajoute Andry en 1780, bien des gens de ville et au-dessus du commun, imbus de ce préjugé et d’histoires qui viennent à l’appui. Une personne grave, revêtue du sacerdoce, et d’un vrai mérite, m’a assuré, à cette occasion, avoir vu fusiller un homme qui couroit dans les environs d’une grande ville ; et que dans un autre endroit une demoiselle empoisonna elle-même son père par un bouillon, en vertu d’une espèce d’arrêté de famille, et qu’il en fit des reproches à sa fille, en la remerciant néanmoins de mettre fin à son tourment (3). »

Nous pourrions multiplier ces témoignages : ils se rencontrent partout où il est question de la rage. Larmerye, dans son dictionnaire françois-breton (1744), dit à l’article Rage : « c’est un crime qui mérite punition corporelle d’étouffer une personne enragée ; et on ne dit mot à un beau grand livre qui le conseille. Comment ! on n’oserait le nommer ! » Le mot de cette énigme est peut-être résolu par un autre passage du même dictionnaire au mot suffocation : « Ganeau répète ici qu’on fait périr les enragés par une suffocation entre deux matelas. »

La souffrance des malheureux atteints de ce mal était encore accrue par d’aussi cruels usages. Voici des faits que Balzac emprunte aux publications de l’Ecole Royale de Médecine :

« Une jeune fille de dix-huit ans, prise en charge, ne fut sérieusement malade qu’une demi-journée, et mourut à l’Hôtel-Dieu de Paris le 8 mai 1780, faisant des prières pour qu’on ne l’étouffat point… Le 23 septembre 1781, un jeune homme attaqué de la rage demanda à sa famille son curé, uniquement pour empêcher qu’on l’étouffat dans le cas où il viendrait à perdre la raison. Ce sujet fut guéri ; preuve évident que la rage était purement imaginaire. Ainsi, plusieurs de ces malades imaginaires se voient étouffés ou étranglés, ou noyés dans des ruisseaux de sang coulant de leurs quatre membres largement ouverts par une perfide lancette.

Balzac, qui écrivait en 1810, remarque là-dessus :

Il y a des exemples ou l’avidité de succéder a fait étouffer comme enragés des individus attaqués de simples convulsions que la peur, ou la crainte, ou l’effroi leur avaient données, ou qui étaient l’effet de quelques violentes passions, de quelques transport fiévreux dont ils auraient été guéris. La simple idée qu’il a pu se commettre de pareils assassinats fait frémir. Une loi peut seule les faire cesser.

Et Balzac demande que le gouvernement adopte un « projet de loi » ainsi conçu :

Il est défendu, sous peine de mort, d’étrangler, d’étouffer, de saigner des quatre membres, ou autrement faire mourir aucun individu attaqué de rage, d’hydrophobie, ou autre maladie quelconque donnant des accès, des convulsions aux personnes, les rendant folles, furieuses, et dangereuses, de quelques manières que ce soit, sauf à l’ordre public et aux familles à prendre les précautions qu’exigent la santé publique et particulière.

Pour qu’un philanthrope, en 1810, crut utile de demander une loi sur la matière, il fallait que les attentats de ce genre fussent bien fréquents.

Il n’en allait pas autrement en Angleterre. A la fin du XVIIIe siècle, un des fellows (agrégés) du collège de la Trinité, à Cambridge (un homme instruit par conséquent !), demandait aux juges de passage pour les assises s’il était permis et légal d’étouffer entre deux matelas un homme enragé. « Les juges répondent que c’est un meurtre et prient le fellow de le dire bien hautement ; car nombre de personnes considèrent ce procédé non seulement comme légal, mais aussi comme un acte de charité vis-à-vis de l’enragé. » Il y a cinquante ans, dans un procès, le juge dit aux jurés qu’un fait de ce genre était un meurtre, mais les jurés acquittèrent les prévenus, pensant que c’était une acte d’humanité d’abréger des souffrances aussi cruelles et sans espoir. Il y a quarante ans, à York, un enragé fut étouffé dans son lit, parce qu’il crachait sur ceux qui s’approchaient de lui, et que l’on croyait sa salive dangereuse à ceux qu’elle touchait. Le recueil anglais auquel nous empruntons ces faits en cite d’autres exemples et de notre siècle même.

 

1 : Andry Recherches sur la rage, p396.

2 : Andry, p.327. Ce procédé a dû être utilisé à plusieurs endroits. Notre ami M. E. Ernault a recueilli en Bretagne une tradition qui en témoigne : « On dit à Trévérec (Côtes-du-Nord), qu’autrefois les médecins, pour procurer une mort douce aux malheureux mordus par des chiens enragés, leur ouvraient une veine du petit doigt de pied et leur faisaient mettre les pieds dans l’eau chaude, pour mourir au bout de leur sang.

3 : Andry, p.408. »

 

Donc voilà, les choses sont claires. On pratiquait effectivement l’euthanasie sur les gens supposément atteints de la rage.

Et vu qu’il n’y avait que 19 morts par an en France à l’époque, il suffisait que ça arrive ne serait-ce que 10 fois pour qu’on ait la moitié des morts de l’année.

De tels comportements peuvent sembler surprenants à première vue. Mais si on y réfléchit, ça ne l’est pas tant que ça. Finalement, l’euthanasie en question était considérée comme quelque chose de bien et pas du tout comme quelque chose de monstrueux. Puisque la personne était destinée à mourir, et ce dans d’horribles supplices, la tuer pouvait sembler être un acte d’humanité. Et c’est bien ce qu’on trouve dans le passage de Faugère-Dubourg et dans divers autres.

Et puis, si on craignait que la personne ne se mette à mordre tout le monde, on pouvait se dire que la tuer était une solution, afin d’éviter de tomber malade soi-même. Là-aussi, c’est ce qui est évoqué par Faugère-Dubourg et par d’autres auteurs.

Avant de voir ces témoignages, j’avais aussi fait l’hypothèse que souvent, c’était les médecins eux-mêmes qui achevaient le patient à la demande des parents, ou même de son propre chef. Ce qu’on trouve dans la description de Faugère-Dubourg va dans ce sens. Et dans celle-ci, on parle même de la police et d’une euthanasie tout à fait officielle.

Alors, on pourra se dire « oui, mais la culture chrétienne, le maintien de la vie à tout prix, etc.., qu’il y avait à ces époques ? Ça aurait dû les empêcher de faire une telle chose. » Ce qu’il faut voir, c’est que les paysans de l’époque étaient certainement assez rustiques et pragmatiques. Ça ne devait pas être des tendres ni des idéalistes. Donc beaucoup devaient être capables de se débarrasser d’un proche devenu extrêmement dangereux, et d’abréger ses souffrances comme ils le faisaient pour des chevaux, même dans le cas où ça représentait un problème moral et sentimental.

Quant aux médecins, on constate que finalement, la culture de l’euthanasie remonte à plus loin que ce qu’on pensait. On sait que ça doit faire depuis qu’ils ont la morphine qu’ils tuent les gens dès qu’ils pensent qu’ils sont en phase terminale. Mais là, on voit que c’était déjà le cas avant. La plupart du temps, pour d’autres maladies, ils ne devaient pas à avoir le faire, parce que leurs traitements tuaient de toute façon très efficacement le malade. Mais dans certains cas, ça devait leur sembler nécessaire, et apparemment, certains n’hésitaient pas. Et l’idée derrière ça est toujours la même : puisque de toute façon, le patient va mourir, et en plus dans des souffrances abominables, autant le tuer directement de façon rapide. Si en plus il est dangereux, c’est encore plus justifié.

Ce qui est intéressant aussi dans les extraits cités, c’est qu’on y évoque des cas d’assassinats purs et simples. Untel voulait empocher l’héritage ; il profitait alors de la maladie pour se débarrasser du proche.

Evidemment, une fois l’euthanasie pratiquée, les gens et les docteurs devaient d’autant plus jurer mordicus que la personne avait des symptômes clairs d’hydrophobie. Parce que sinon, ça impliquait qu’ils l’avaient peut-être tuée pour rien ; qu’ils avaient paniqué bêtement ; et tout simplement qu’ils étaient des assassins. Donc, ça aidait pour inventer après coup des cas de rage bien propres, bien nets.

Comme vu plus haut, si cette pratique était répandue, on imagine par ailleurs l’état d’esprit des gens qu’on amenait à l’hôpital, où qu’on diagnostiquait chez eux comme étant hydrophobes. Forcément, se voyant déjà assassinés par leurs proches ou par le médecin, ça devait conduire à une agitation extrême et des actes de rebellions, qui étaient bien sûr pris pour de… la rage…

Et, pour certains cas, on comprend alors pourquoi le patient acceptait les traitements préventifs. S’il ne le faisait pas, alors, il finirait par être considéré comme enragé. Et là, on tenterait de le tuer. Donc, il valait mieux en passer par le traitement, même s’il était très douloureux, comme dans le cas des cautérisations au fer rouge ou avec diverses substances chimiques.

 

Si les morts n’étaient pas trop nombreux, c’est, comme on l’a vu plus haut, qu’on n’arrivait que très rarement au point où la maladie se déclarait, et qu’ensuite, les médicaments mortels n’étaient finalement pas très souvent utilisés. Et même dans ce cas, les médecins devaient tout de même utiliser les médicaments à des doses qui n’étaient pas forcément toujours mortelles ; ce qui réduisait encore le nombre de morts.

 

9,4) Le cas des animaux

 

Comme chez les hommes, beaucoup de cas animaux devaient être complètement inventés. La rage ne devait être alors qu’un prétexte pour pouvoir se débarrasser de bêtes entrainant un préjudice économique. Donc, il ne devait même pas y avoir besoin particulièrement d’une morsure ou que l’animal présente un comportement agressif. Une simple menace potentielle sur les troupeaux ou les bêtes de la ferme pouvait suffire pour que le ou les paysans veuillent s’en débarrasser. Dans ce cas, l’accuser de la rage pouvait permettre de justifier sa mise à mort. Comme on dit, « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». En l’occurrence ici, il ne s’agissait pas de tuer « son » chien, mais les loups ou les chiens étrangers qui pouvaient menacer les troupeaux du paysan, ou les renards qui attaquaient les poulaillers.

Bien sûr, on pourrait répondre qu’il n’y avait pas besoin d’accuser le chien ou le loup de la rage pour le tuer. Les gens de ces époques n’avaient pas besoin de justification. Le loup tuait un mouton ; le paysan tuait le loup d’une façon ou d’une autre. Et voilà, fin de l’histoire.

Seulement, le problème, c’est que seuls les nobles avaient le droit de tuer du gibier. Et en dehors de ces derniers, seuls les louvetiers avaient le droit de tuer les loups (et autre prédateurs). Donc, il fallait passer par des intermédiaires pour se débarrasser des nuisibles. Forcément, ça changeait tout, parce que, pour une partie des chasses au loup ou au chien, etc.., il fallait motiver les autorités, et même la communauté.

Déjà, les lieutenants de louveteries étaient en fait tout le temps des notables déjà très bien installés et ayant d’autres charges diverses et variées (voir « L’Homme contre le loup. Une guerre de deux mille an« , Par Jean-Marc Moriceau). Donc, généralement, la charge de louvetier ne présentait pas grand intérêt pour eux, en tout cas pour la chasse au loup elle-même. C’était surtout l’exemption de certaines taxes sur les revenus fermiers qui était intéressante. Résultat, ils chassaient en fait très peu ; chose qui occasionnait régulièrement des plaintes. Et quand ils pratiquaient la battue, c’était souvent plus pour prendre du gibier normalement réservé aux nobles comme des lièvres, des sangliers, des cerfs, que pour prendre des loups, plus difficiles à chasser. Du coup, on peut comprendre que pour les motiver, les paysans aient eu tendance à exagérer les faits et à dire que des loups enragés les avaient attaqués.

Par ailleurs, le louvetier n’avait normalement pas le droit d’organiser une battue tout seul. Il devait obtenir l’aval de quelques notables locaux. En fait, selon les lieux et l’entente entre les lieutenants de louveterie avec les autorités locales, ça pouvait varier : soit le louvetier organisait de son propre chef les chasses, soit il devait obtenir l’autorisation des notables. Dans ce cas, en plus de convaincre le louvetier d’organiser une chasse, les paysans devaient convaincre aussi les autorités locales. Et comme il y avait généralement un ou deux nobles dans ceux qui donnaient l’autorisation, si le louvetier avait tendance à chasser le gibier qui leur était réservé, ceux-ci pouvaient être très réticents à autoriser une battue. D’où, là encore, le fait que les villageois aient dit parfois que le loup était enragé, pour motiver les autorités en question à donner l’ordre de pratiquer la battue. S’il fallait en passer par là pour éviter la famine ou la pauvreté, on peut être sûre que les éleveurs n’allaient pas hésiter à le faire.

Et puis, si la chasse échouait, il fallait recommencer. Mais vu les réticences des louvetiers et des autorités locales à organiser ou autoriser des battues, il pouvait être très difficile de les décider à en faire une nouvelle. Alors, si on disait que l’animal était enragé, là, ils devaient être beaucoup plus motivés pour s’en débarrasser.

Les villageois étaient obligés de participer à la battue. Or, selon les régions, une bonne partie d’entre eux pouvait ne pas être concernée par ce problème : beaucoup n’étaient que cultivateurs et pas éleveurs ; et d’autres étaient des artisans. Donc, ils ne devaient pas être très motivés. Et si les battues ne donnaient rien plusieurs fois de suite, ils pouvaient commencer à en avoir assez. En fait, les cultivateurs pouvaient même être contre la battue, puisque les loups et autres prédateurs diminuaient les populations d’herbivores saccageant leurs champs. Tout ça pouvait envenimer les relations entre les éleveurs à l’origine de la demande de battue et les autres. Mais, si on disait que la bête était enragée, le risque de conflit et de manque de motivation diminuait. En effet, là, ce n’était plus seulement les élevages qui étaient potentiellement menacés, mais tout le monde.

Dans la continuité de ce problème, les louvetiers étaient rémunérés par les villageois. C’est ce qu’on peut lire le site loup.org :

« Leur mode de rémunération a évolué par exemple. On peut citer une ordonnance de 1404, sous Charles VI, qui indique que les taxes par loup sont à toucher dans les villages avoisinants.

En 1443, une autre Ordonnance royale, de Philippe le Bon cette fois, précise : «…pour chacun loup ou loupve que (le louvetier) prendra ou fera prendre, il aura et prendra pour tous frais deux deniers tournois sur chascun estant à deux lieues à la ronde près du lieu ou lesdits loups et loupves auront esté prins…». A l’autre bout du monolithe monarchique français, on trouve une ordonnance royale de 1785, signée de la main de Louis XVI. Ici, les louvetiers ne peuvent plus prélever de taxe sur les habitants. En contrepartie, ils sont exonérés d’impôts.« 

Donc, jusqu’en 1785, en plus de devoir participer à la battue, ça coutait de l’argent aux villageois de faire chasser les bêtes. Ça pouvait créer encore plus d’inimitiés entre les paysans ayant demandé la battue et les autres. Et là aussi, le fait de dramatiser la situation et de dire que les loups, les renards, etc.., étaient enragés pouvait permettre de mieux faire passer la pilule.

Alors, il est vrai que le paiement en question a apparemment connu des fortunes diverses. Souvent, le louvetier avait du mal à se faire payer une fois la bête tuée. Mais inversement, il y a eu aussi des abus où le louvetier se faisait payer d’avance, sans même garantir un résultat. Mais tout ça allait à peu près dans le même sens concernant le problème qui nous intéresse. Si le louvetier n’arrivait pas à se faire payer une première fois, il pouvait décider de ne plus faire de battue avant longtemps. D’où une surenchère de la part des éleveurs pour obliger celui-ci à revenir, en parlant de rage. Inversement, s’il décidait de se faire payer d’avance – ce qui était interdit-, et qu’il n’obtenait aucun résultat, les villageois pouvaient l’avoir mauvaise et voir ceux qui faisaient appel à lui encore d’un plus mauvais œil. D’où, là encore, l’idée de la part de ces derniers de déclarer le loup, ou autre prédateur, enragé.

Alors, on pourrait dire que les paysans n’avaient pas tant que ça intérêt à dire qu’ils avaient été attaqués et éventuellement mordus par un loup. En effet, comme le soin consistait en une cautérisation de la morsure, il était risqué d’en revendiquer une. Sauf que comme la plupart du temps, les gens recouraient à des soins de type omelette ou autre gris-gris indolores, ils ne risquaient rien. Et puis, souvent, ils n’avaient pas forcément besoin d’inventer une histoire de morsure vis-à-vis d’un homme. Ils pouvaient dire que l’animal avait mordu de nombreux herbivores sans les manger, ou avait attaqué des chiens ; c’était généralement assez pour convaincre les autres qu’on avait affaire à une bête enragée. Et même, dire simplement qu’on avait vu un animal apparemment enragé pouvait suffire dans de nombreux cas.

On peut se dire aussi que vu les intérêts en jeu, il est possible que parfois des éleveurs payaient un médecin pour déclarer qu’un prédateur était atteint de la rage, afin de donner plus de poids à leurs affirmations.

Et puis, les loups posaient aussi un problème aux nobles, puisqu’ils décimaient leur gibier. On peut ajouter à ça que dans le cas où le fief était essentiellement tourné vers l’élevage, les pertes causées par les loups étaient également une perte pour les revenus de leur seigneur. Apparemment, les nobles pouvaient chasser le loup eux-mêmes. Mais pour ça, il fallait en passer par la battue, et donc par les paysans locaux et le louvetier. Donc, pour vaincre les réticences, il pouvait là-aussi être intéressant de dire qu’un loup était enragé, et pour ça d’avoir un médecin dans sa poche.

Bien sûr, tout ça c’était seulement la situation française. Mais on peut penser que dans les deux autres pays les plus concernés par la rage, à savoir l’Italie et l’Espagne, les choses étaient un peu similaires.

 

Par ailleurs, les louvetiers pouvaient chasser avec des meutes de chiens. Et puisqu’on croyait à la contagion par la morsure, si des chiens se faisaient mordre et qu’ensuite ils changeaient de comportement (prostration, agressivité), on ne devait pas mettre longtemps à dire qu’ils avaient la rage. Donc, ça aussi, c’était une source de cas de rage animale.

Par exemple, ce témoignage parle d’une meute de pas moins de 80 chiens lors d’une chasse réalisée pour un seul loup supposément enragé, en 1827. Et il spécifie que plusieurs ont été mordus durant la chasse (sans développer d’hydrophobie) (Journal des Chasseurs, Sporting-Magazine français, octobre 1840, septembre 1841, page 248).

« … et voilà notre loup aux prises avec quatre-vingts chiens ameutés autour de lui…« 

« Beaucoup de chiens furent mordus dans l’un et l’autre équipage ; mais aucun ne devint atteint d’hydrophobie, nonobstant l’article du Journal des Débats, en dépit même des gens du pays, qui assuraient que ces animaux étaient enragés, n’ayant pas craint de se jeter plusieurs fois sur des habitants qui allaient à l’ouvrage…« 

Là, il n’y avait même pas eu besoin de changement de comportement : des chiens mordus un peu trop entreprenants avec des inconnus, et voilà la foule et les journaux affirmant qu’ils étaient enragés.

 

Et puis, il devait y avoir des paniques collectives apparaissant spontanément. A force d’entretenir des légendes sur le loup, on finissait par affabuler parfois complètement sur le nombre de loups, leur agressivité réelle, la quantité de bétail tué, les gens agressés, le fait qu’ils aient l’air enragés ou non, etc… Donc, on pouvait se mettre à voir de nombreuses bêtes enragées là où il n’y avait rien, ou du moins pas grand-chose.

 

Dans l’ouvrage, « Nouveau journal de médecine, chirurgie, pharmacie, etc« , Corvisart, Leroux, Boyer, Tome XIII, janv. 1807, page 101, l’auteur (M.P.C. Gorcy, ancien médecin en chef des armées) avance une hypothèse intéressante qui a pu concerner certains cas. Il fait remarquer que les carnivores en période de rut sont bien plus agressifs que d’habitude, spécialement pour les animaux de leur propre espèce. Et ils peuvent en oublier de manger et de boire.

« S’il m’était permis d’avancer une conjecture, lorsque je ne veux m’en tenir qu’aux faits et aux observations, je dirai qu’il me parait probable que l’hydrophobie étant plus commune parmi les chiens et les loups, les causes qui l’occasionnent le plus souvent, sont les combats qu’ils se livrent pendant leur rut. Dans ce temps, ils sont presque toujours en colère ; le besoin qu’ils éprouvent alors est tellement impérieux, qu’il leur fait oublier de boire et de manger et méconnaitre leurs maitres, quoique très goulus ordinairement, on ne peut pas les arrêter alors, ni les distraire par des aliments que dans d’autre temps, ils dévoreraient avec la plus grande avidité. Leurs humeurs s’exaltent dans ces circonstances d’autant plus, qu’ils ont plus de rivaux à vaincre et plus de combats à livrer. Leurs morsures dans cet état sont dangereuses pour tout animal, mais doivent l’être bien davantage pour un de la même espèce, qui est déjà exaspéré et rendu furieux par la défaite qu’il vient d’éprouver, ce qui le jette dans la morosité d’abord, et dans la rage quelques temps après, si des circonstances heureuses ne viennent détruire ces principes morbifiques.« 

Donc, il est bien possible qu’effectivement, certains cas de rage rapportés n’aient été que des cas de chiens ou de loups rendus agressifs par le rut (et par les combats qui s’en suivent). Bon, bien sûr, l’auteur croit que ces conditions engendrent la maladie de la rage. Il ne dit pas que ces symptômes sont pris à tort pour celle-ci. Mais, en dehors de ça, l’idée de base est tout à fait juste.

Par ailleurs, cette situation pouvait faire croire à une idée de contagion. Les chiens étant en rut en même temps à cause de la présence d’une chienne en chaleur, ils présentaient les symptômes de la rage au même moment. Donc, un chien en mordait un autre, et l’autre faisait de même, et d’autres encore, tout ça à cause du rut. Et les humains voyant ça se disaient que c’était parce qu’il y avait quelque chose dans la bave du chien qui transmettait une maladie.

De plus, comme le rut du chien est conditionné à la présence d’une chienne en chaleur, aucun de ceux situés à quelques kilomètres du groupe de chiens en rut n’était dans cet état. Dès lors, il était plus difficile pour les gens de prendre conscience que le comportement des chiens en question était lié au rut. Si tous ceux d’une région ou d’un pays l’avaient été en même temps, se rendre compte du problème aurait été relativement facile ; mais là non. Le phénomène apparaissait comme isolé, et donc non reliable à un caractère qu’on trouve habituellement chez le chien (de façon permanente ou saisonnière). Surtout qu’il doit être souvent difficile de savoir s’il y a une chienne en chaleur quelque part. Donc, fréquemment, le comportement des chiens pouvait sembler ne pas avoir de cause précise. D’où la tentation de l’expliquer par la rage.

 

Cela-dit dans certains cas, il devait y avoir effectivement des symptômes de type rage. Ceux-ci devaient venir d’empoisonnements, soit provoqués par l’homme (la majorité des cas), soit relevant d’accidents.

Les substances utilisées dans la lutte d’extermination contre les loups, les chiens errants, les renards et autres « nuisibles » étaient, entre autres : la noix vomique (remplacée à partir du 19ème siècle, par la strychnine), l’aconit tue-loup, et la ciguë aquatique (voir ici). Et bien sûr, il devait y en avoir de nombreuses autres.

Rappelons les symptômes de la rage chez les animaux :

  • un manque de coordination des mouvements volontaires (ataxie généralisée)
  • une hypersensibilité des sens (hyperesthésie), qui concerne plutôt la vue
  • des douleurs cervicales
  • une hypersalivation
  • des convulsions des muscles faciaux
  • chez les carnivores, un comportement anormalement agressif est fréquent mais pas systématique

Or, la noix vomique et la strychnine provoquent des symptômes similaires à la rage. Ils provoquent une hypersensibilité des sens, des convulsions des muscles (et donc aussi des muscles faciaux). Convulsions qui pouvaient être prises parfois aussi comme un manque de coordination des mouvements volontaires. Et comme il s’agit en fait d’analogues d’anti-inflammatoires, ils augmentent l’agressivité.

La ciguë aquatique provoque une salivation et un trismus (convulsion des muscles faciaux) selon Wikipédia.

L’aconit tue-loup, de son côté, semble avoir un effet de type curare. Du coup, ça provoquait des faiblesses musculaires, voire des paralysies, ce qui pouvait être pris pour un manque de coordination des mouvements pour le premier symptôme, et pour de la rage paralytique pour le deuxième.

Bien sûr, la ciguë aquatique et l’aconit entraine un peu moins d’effet de type rage. Mais il suffisait qu’il y en ait 1 ou 2 pour qu’on dise qu’il s’agissait de ça.

La belladone devait entrainer des cas également. D’ordinaire, les loups, renards, chats et autres chiens errants ne doivent pas les consommer. Mais des jeunes peuvent en manger par ignorance des effets. Et surtout, certains oiseaux ou les escargots peuvent s’en nourrir sans problème. Donc, si un carnivore mange ensuite un de ces animaux, il peut s’intoxiquer sévèrement. Concernant les escargots, les renards, les fouines, les belettes et les blaireaux en mangent. Et les chats peuvent attraper les oiseaux. Quant aux loups ou aux chiens, ils peuvent attraper des oiseaux blessés ou ceux qui nichent dans les herbes. Donc, là-encore, des animaux intoxiqués pouvaient passer pour enragés.

 

Et on peut penser que le poison était assez utilisé. En effet, même s’ils avaient eu des envies de se débarrasser eux-mêmes illégalement des bêtes nuisibles, les paysans n’avaient pas le droit de posséder d’arme à feu. Et de toute façon, celles-ci devaient être très chères. En plus, leur efficacité était très faible à l’époque (tir efficace à un maximum de 20m et pas d’usage possible par temps de pluie avant 1807…). Ils étaient donc obligés de tuer l’animal au contact. Mais, pour arriver à se débarrasser d’une meute de loups ou de chiens errants, ou même d’un seul, il fallait être à plusieurs chasseurs, et il fallait de préférence avoir de nombreux chiens. Et il fallait aussi être habitué à chasser. Donc, cette façon de faire était également inaccessible à la plupart des paysans. Surtout qu’elle avait le très gros désavantage d’être très repérable par les autorités.

Il ne restait donc plus que les pièges et le poison. Les premiers étaient constitués principalement de fosses, de pièges à mâchoire en bois, et de nœuds coulants (voir « les loups dans l’actuel département de l’Aisne », J. Buridant, page 75). Or, les fosses demandaient une manutention non négligeable. Et les pièges en bois, non seulement étaient repérables par les gardes forestiers et pouvaient être considérées comme du braconnage (qui était très sévèrement puni), mais en plus, pouvaient être dangereuses pour d’autres paysans si aucun animal ne se prenait dans le piège. Avec les nœuds coulants, l’usage du poison à proximité de la zone de maraude supposée du loup, mais surtout, aux alentours de la propriété du paysan s’imposait donc. C’était une des deux solutions les plus faciles à mettre en œuvre et les plus efficaces ; l’avantage du poison étant que c’était encore moins repérable par les autorités que le nœud coulant, et que si on était pris, on pouvait plus facilement justifier d’une simple utilisation contre les nuisible alors que pour le second, il était plus difficile de se défendre d’une accusation de braconnage. En plus, les paysans devaient déjà utiliser le poison pour des nuisibles plus petits, comme les rats, les fouines, les belettes, les renards, etc… Donc, l’habitude de cette méthode devait les pousser naturellement à l’utiliser aussi pour les loups et chiens errants.

Dans la mesure où les chasseurs officiels devaient être dépassés par la quantité de gibier à chasser, et devaient s’intéresser plutôt au gibier « noble », les paysans devaient la plupart du temps se débrouiller tout seul pour endiguer le nombre d’animaux nuisibles (loups, chiens, renards, fouines, lapins, rats, souris, etc…) pour leurs récoltes et leurs troupeaux. Donc, le nombre de bêtes tuées par empoisonnement devait être très important.

Et forcément, quand un piège était posé, d’autres animaux que celui visé pouvaient se faire empoisonner. Des renards, des chiens sauvages, des chats, des belettes, etc.., pouvaient découvrir un piège fait initialement pour tel autre animal et tomber malades ou mourir. Ca multipliait donc le nombre de bêtes pouvant manifester des symptômes de type rage ; et ça donnait l’impression que la maladie était très présente.

Et puis, des petits animaux empoisonnés comme des souris, des rats, des campagnols, etc.., pouvaient ensuite être mangés par des bêtes plus grosses comme les renards ou les loups. Et du coup, ceux-ci se retrouvaient empoisonnés également.

 

Enfin, il faut voir qu’apparemment, souvent, on tuait l’animal qu’on supposait enragé. Dans le cas d’une bête sauvage, ça parait normal. Mais c’était vrai aussi pour les animaux domestiques. Je parle ici de cas où le maitre n’avait pas d’envie de tuer l’animal à la base et où il n’y avait donc pas de recherche d’un prétexte pour s’en débarrasser. Donc, on avait par exemple un chien qui développait des symptômes qu’on supposait être de la rage, et on le tuait préventivement, sans attendre de voir ce qui allait vraiment se passer (là encore, pour éviter de se faire contaminer, ou alors, pour lui éviter des souffrances inutiles). C’est important, parce que quand on pense à la rage des chiens ou chats domestiques, on a tendance à se dire que puisqu’ils mourraient, c’est bien qu’ils étaient enragés. Ça donne une apparence de réalité à la maladie. Mais en fait, fréquemment, on ne leur laissait pas le temps de mourir de façon naturelle. La mort était donnée par les maitres. Du coup, cette preuve de la réalité de la maladie disparait.

 

 

10) La vaccination et la fin de la rage

 

 

Donc, puisque la rage n’a jamais existé que dans l’imagination des médecins, il n’y a rien d’étonnant à ce que le vaccin ait marché. Forcément, quand on vaccine contre quelque chose qui n’existe pas, les gens ne développent aucune maladie.

 

Pour l’industrie pharmaceutique, l’avantage de ce vaccin, c’est qu’on peut continuer à avoir quelques cas dans les pays développés (et même un nombre non négligeable si la population de loups, renards et chiens sauvage est importante et difficile d’accès) et des tonnes de cas dans les pays pauvres. Cas tous fictifs bien sûr. En effet, ce sont les chiens qui subissent la vaccination de masse (ils représentent soi-disant 99 % des cas de transmission de rage), pas les humains. Seulement, dans les pays pauvres, il est difficile de vacciner tous les animaux sauvages ou les chiens errants. Surtout que la protection du vaccin ne dure que 7 ans (et ça, ce sont les chiffres américains apparemment, en Allemagne, c’est 3 ans, et en France, on pousse à faire un rappel tous les ans, voir ici ou ici). Donc, même en faisant une campagne de vaccination, celle-ci n’est plus valable quelques années après. Tout ça justifie le fait qu’il y a toujours plein d’animaux sauvages qui sont atteints et qui contaminent des humains. Et même dans les pays riches, on peut toujours justifier de quelques cas d’importation qui pourraient éventuellement relancer l’épidémie.

Donc, pour l’industrie pharmaceutique, ce vaccin est très pratique, et l’a été durant toute son histoire. Il a d’abord permis de faire une énorme publicité pour les vaccins. On a ensuite pu dire que c’est grâce à lui que la rage a été quasiment éradiquée dans la plupart des pays riches. Donc, la croyance en son efficacité est totale. Mais malgré tout, il y a toujours une possibilité de retour de maladie dans ces pays, ce qui justifie de continuer la vaccination de masse des carnivores domestiques. Et dans les pays pauvres, la persistance à des niveaux très élevés de la maladie permet d’entretenir la peur vis-à-vis d’elle. Tout ça, sans que le vaccin ne soit en cause. C’est la situation idéale pour les sociétés qui le fabriquent.

 

L’utilité du vaccin, pour la population, c’est que du coup, on n’a plus cru que la maladie pouvait se déclencher après une morsure (si l’animal ou l’être humain était vacciné). Donc, on a imaginé beaucoup moins de cas. Ca a évité à la population de continuer à subir des traitements abominables.

Cela-dit, le fait que les médicaments dangereux et les poisons (pour les animaux) aient été moins utilisés a du participer aussi un peu à la disparition de la maladie. En effet, aussi bien dans un cas que dans l’autre, on a eu moins de symptômes de type rage.

Pour les êtres humains, l’arrêt de l’utilisation du mercure, de la belladone, de l’arsenic, du plomb et autres joyeusetés de l’époque a fait disparaitre la plupart des cas avec ce genre de symptômes.

Pour les animaux, on a fini par interdire la pose de poisons. Par exemple, c’est en 1982 qu’on a cessé d’utiliser la strychnine pour l’extermination des renards (au passage, ça a dû aider pour la « réussite » de la campagne de vaccination orale lancée en 1986 en France).

Par ailleurs, il y a eu moins de conflits entre les hommes et les animaux « nuisibles ». Il y a déjà eu l’extermination des loups au 19ème siècle dans beaucoup de pays du monde occidental (grâce à l’amélioration des fusils et à l’ouverture de la chasse à tous dans certains pays). Et ensuite, l’extension du territoire agricole et la diminution de la taille des forêts ont conduit à une très forte diminution de l’espace vital des nuisibles. Même les lapins ont vu leur population très fortement diminuer, probablement à cause des pesticides, de l’agriculture moderne, etc…

Et pour les animaux nuisibles restant, les problèmes pouvaient être résolus par la chasse de la part des paysans eux-mêmes ; ce qui a aussi permis de diminuer les tensions entre les paysans et ces animaux. Un animal tuait des moutons ou des chèvres ? Un coup de fusil, et le problème était réglé. A partir de là, le nuisible devenait un problème mineur.

Et avec moins de conflits économiques, les gens avaient moins de raison d’inventer des cas de rage purement imaginaires, dans le seul but de se débarrasser de concurrents économiques. Ça aussi, ça a pu participer un peu au fait qu’on ait vu de moins en moins de cas.

Dans la mesure où tout était dans le diagnostic, de toute façon, avec la vaccination, on aurait posé des diagnostics différents et le nombre de cas aurait été réduit à très peu de chose. Mais malgré tout, ce n’est pas si simple que ça. Puisqu’on ne pouvait vacciner en masse que les animaux domestiques, tous les animaux sauvages y échappaient. Donc, si la concurrence avec certains animaux avait continué, s’il n’y avait pas eu disparition totale du loup, si les paysans n’avaient pas pu se débarrasser des nuisibles à volonté, et si on avait continué à utiliser certains poisons, il est probable qu’on aurait continué à inventer quelques cas ici et là. Le fait que ces sources de diagnostic de rage aient disparu a donc dû aider à ce qu’on n’en invente plus. De la même façon, si les substances entrainant des symptômes similaires avaient continué à être utilisées, peut-être qu’on aurait continué à « voir » quelques cas chez les humains. Donc, les évolutions en question ont dû quand même avoir un petit impact sur cette histoire d’éradication de la rage dans les pays riches.

 

 

11) Divers

 

 

Comme on l’a vu au tout début, la rage tue chaque année plus de 55 000 personnes dans le monde, et 95% des cas humains mortels surviennent en Asie et en Afrique.

Seulement, en France, entre 1852 et 1862, donc dans un pays encore très rural, et alors que le vaccin n’existait pas, il n’y avait que 19 morts par an (voir chapitre sur la prévalence de la rage). Or, la France comptait 37 millions de personnes (voir ici).

L’Asie et l’Afrique, comptait 4 milliards de personnes au moment de ces chiffres. Mais prenons les chiffres de 2014, soit 5 milliards.

55.000/19, ça fait environ 3.000. Donc, il y a 3.000 fois plus de cas maintenant en Afrique et en Asie qu’à l’époque en France. Donc, pour que les chiffres correspondent, il faudrait qu’il y ait 3.000 fois plus de gens. Seulement, ça ferait alors 110 milliards de personnes (3.000 fois les 37 millions de français de 1860). Alors qu’il n’y en a que 5 milliards. Il y a comme un problème, puisqu’il y a 22 fois plus de cas qu’il ne devrait y en avoir. Autrement dit, les chiffres sont complètement gonflés et bidonnés. En réalité, il ne devrait y avoir que 2.500 cas (55.000 divisé par 22). Et encore, vu que les populations sont beaucoup plus urbaines, que le sérum antirabique est disponible (et qu’il empêche que la maladie n’apparaisse s’il est administré assez tôt), et que les moyens de communication et de transport permettent d’intervenir très rapidement, le nombre de morts devrait être très largement inférieur à ça : au moins de 10 fois, soit 250 morts. Donc, en fait, on gonfle les chiffres de 220 fois. Mais forcément, 250 morts, ça n’est pas impressionnant. Alors, on gonfle les chiffres au maximum pour continuer à faire peur. Ce qui permet de vendre le vaccin, et aussi de maintenir la peur des microbes pathogènes.

 

On a vu plus haut que jusqu’à la fin du 19ème siècle, les médecins considéraient la salive d’un animal enragé comme un venin. Et chez chaque animal nouvellement mordu, il dérèglait la composition de la salive qui se transformait alors elle aussi en venin. C’est ainsi que la maladie était supposer se propager chez les animaux. Toutefois, dans divers livres anciens, on peut aussi lire le terme de virus. On peut avoir alors tendance à être induit en erreur et à penser que les médecins de l’époque croyaient déjà à une contagion causée par un microbe.

Mais en fait, le terme de poison se disait aussi virus en latin. Donc, quand on parlait de virus, on parlait en fait de poison. C’est ce qu’on trouve sur Wikipédia (concernant le terme virus) : « Le mot est du latin virus, qui se réfère au poison et autres substance nocives. Ça a été utilisé pour la première fois en anglais en 1392. Le mot virulent, du latin virulentus (toxique, vénéneux), date de 1400. Le sens « d’agent qui cause une maladie infectieuse » est enregistré pour la première fois en 1728″. On peut se demande si, en 1728, il n’y a pas eu glissement de sens. Mais en fait, dans les livres du 19ème siècle, il ne semble pas que ce soit le cas, en tout cas pour la rage. La théorie semble clairement continuer sur le concept de venin.

 

 

Conclusion

 

 

Donc, de nombreuses incohérences et bizarreries montrent que la rage n’existe pas.

Déjà, l’hydrophobie est un symptôme qui relève du n’importe quoi. Si le supposé virus attaquait le cerveau, alors, il le ferait de façon non discriminante et les symptômes seraient des plus divers. L’hydrophobie ne serait alors qu’un symptôme assez rare parmi bien d’autres. Or, ce n’est pas du tout ce qu’on peut constater. Actuellement, l’orthodoxie médicale essaye de marginaliser plus ou moins ce symptôme ; mais jusqu’à la fin du 19ème siècle, celui-ci était considéré comme survenant quasiment 100 % du temps. C’était LE symptôme de la rage (qu’on appelait par ailleurs, hydrophobie). Comme c’est impossible, ça montre bien que cette maladie était une simple vue de l’esprit de la part des médecins.

Les énormes variations des caractéristiques de la rage montrent là-aussi qu’on a affaire à une maladie imaginaire. Selon les uns, les gens mordus se mettaient à mordre d’autres personnes. La durée d’incubation de la maladie pouvait varier de quelques heures à des dizaines d’années. On parlait de transmission par simple léchage, par contact, par consommation de bête enragée, par l’haleine, voire même par la sueur. Selon certains, la chaleur influait sur son apparition. La maladie pouvait se déclarer, se mettre en sommeil avec les soins appropriés, puis revenir, etc…

Tout ça était certifié par des témoignages de première main venant de médecins établis, considérés comme tout à fait dignes de confiance. Problème, toutes ces idées ont été abandonnées tôt ou tard ; montrant ainsi que tout ça relevait de la fantaisie des médecins en question.

Une maladie qui affiche des caractéristiques aussi changeantes relève du n’importe quoi. Une telle chose montre clairement que la maladie existait surtout dans la tête des médecins. Du coup, ils pouvaient inventer des caractéristiques comme ils le voulaient.

Les succès dans la guérison de la rage montrent aussi que la maladie est imaginaire. Selon la théorie officielle actuelle, la maladie est donc causée par un virus, et quand les symptômes apparaissent, le taux de mortalité est de 100 %.

Pourtant, de nombreux témoignages montrent que des traitements qui n’auraient jamais dû marcher permettaient de prévenir quasiment systématiquement l’apparition de la maladie. C’était le cas d’une omelette, de la clef de Saint-Hubert, de bains de mer, de la consommation de poudre d’huitre ou d’écrevisses, etc… C’était aussi le cas de remèdes qui se voulaient plus sérieux, mais qui auraient dû être tout autant incapables de prévenir la survenue des symptômes : saignées, ventouses, frictions mercurielles, salivation avec du mercure pris en interne, belladone, opium, etc… Même la méthode qui se voulait la plus scientifique et la plus fiable, au milieu du 19ème siècle, la cautérisation des plaies, n’aurait pas pu marcher, puisqu’elle était appliquée au plus tôt quelques heures ou jours après la blessure, alors que le virus se retrouve dans le sang en moins de quelques secondes ou minutes.

Et on ne peut pas dire que c’est parce qu’une faible proportion de personnes mordues aurait développé la maladie. En effet, on dit actuellement que 50 % des gens mordus développent la maladie. Mais en fait, à l’époque, on parlait plutôt de 100 %, avec de nombreux exemples à la clef.

Si ces traitements marchaient, c’est là-encore tout simplement parce que la maladie n’existait pas. Donc, n’importe quelle solution proposée était destinée à fonctionner.

De la même façon, on trouve un nombre non négligeable de témoignages de docteurs officiels parlant de guérison alors que la maladie avait déjà commencé à se manifester. Or, comme déjà dit, la médecine actuelle parle d’un taux de mortalité de 100 %. Donc, la réussite de ces soins aurait dû être impossible ; sauf si la maladie n’a jamais existé.

Toutes ces guérisons étaient parfaitement possibles dans la théorie de l’époque, parce qu’on pensait que la rage relevait de l’empoisonnement. On croyait que la bave de l’animal enragé contenait un venin, comme chez certains serpents. Venin qui pouvait, au moins chez l’animal, provoquer à nouveau la production de poison chez l’animal venant de se faire mordre. On avait donc un dérèglement de la production de salive en cascade. Mais, du coup, comme on arrivait à soigner des personnes mordues par des serpents venimeux, on croyait qu’on pouvait faire de même pour la rage. Le premier soin le plus logique était de cautériser le plus rapidement possible la plaie (au fer rouge ou/et avec des produits chimiques) pour détruire le venin. On utilisait aussi les ventouses, pour le faire sortir. La saignée devait également permettre de s’en débarrasser. Bien sûr, qui dit poison dit contrepoison. Donc, une multitude de substances était proposée. Et comme on était dans l’empirisme le plus total, dès que quelqu’un d’un peu crédible disait que tel médicament permettait de prévenir ou de guérir la rage, on y croyait. Vu également qu’on était dans une période de superstitions, la croyance venait s’en mêler. Du coup, certaines solutions farfelues, mais soutenues par l’église ou des guérisseurs se voulant plus ou moins magiciens, sorciers, etc., étaient acceptées comme valables par le peuple.

Et comme la maladie n’a jamais existé, on arrivait à l’empêcher de survenir la plupart du temps : plus de 95 % du temps si la personne était traitée à temps. Peut-être que la médecine de l’époque aurait pu faire en sorte d’avoir des taux plus bas, pour que la maladie fasse plus peur aux gens. Mais comme il y avait la concurrence des méthodes liées à la superstition, qui, elles, marchaient environ 100 % du temps, ils ne pouvaient pas obtenir des faibles taux. Ils étaient obligés de suivre.

C’est parce qu’on avait ce taux très élevé qu’on pouvait avoir de nombreux cas de morsures, tout en ayant un nombre de morts extrêmement faible (chose impossible avec la théorie actuelle). Dans les années 1850-1860, on avait en moyenne en France dans les 20 morts par an. Avec la théorie officielle actuelle, qui parle de 50 % des mordus tombant malade, ça n’aurait fait que 20 malades et 40 mordus. Mais avec la théorie de l’époque, ça pouvait faire dans les 400 à 1000 mordus par des animaux considérés comme enragés (si le taux de guérison était compris entre 95 et 98 %). Donc, effectivement, la rage était un problème à l’époque. Mais un problème tout à fait traitable s’il était pris à temps, et résolu l’écrasante majorité du temps. Comme ça ne colle pas avec la théorie actuelle, celle-ci n’évoque jamais ces statistiques.

En fait, la théorie de la rage était purement occidentale. Et logiquement, comme la médecine n’était pas encore internationalisée, et comme la maladie était imaginaire, elle était absente de nombreux pays où les médecins n’avaient pas été endoctrinés. Ainsi, on ne trouve pas la rage dans les pays d’Asie Mineure et dans les pays du Maghreb, où pourtant les chiens errants pullulaient, et qui avaient forcément des contacts très nombreux avec les pays européens. Et on avait apparemment tendance à la trouver beaucoup moins dans les pays protestants. Enfin, elle était quasiment absente du nord de l’Europe. En fait, on la trouvait surtout dans 3 pays : l’Italie, la France, et l’Espagne.

On trouve aussi certains illogismes dans sa distribution. Ainsi, elle est présente en Amérique du Nord, mais elle est absente de l’Amérique du Sud. Pourtant, on dit que dans le nord, la contamination venait essentiellement des chauves-souris. Donc, vu la possibilité de mouvement de ces animaux, la maladie aurait dû se répandre en Amérique du Sud comme la foudre.

Tout ça est totalement incohérent avec la théorie actuelle, mais parfaitement cohérent avec l’idée que la maladie est fictive.

On peut penser que la rage humaine, voire la rage tout court, est une invention du pouvoir politico-religieux de la fin du moyen-âge. En effet, à cette époque, les loups et autres nuisibles comme les renards étaient considérés comme des ennemis à abattre. Il est donc logique qu’on ait mis au point un mensonge comme quoi, au-delà du danger pour les élevages, ceux-ci en constituaient également un pour l’homme, justifiant ainsi leur extermination systématique.

Ce qui va dans ce sens, c’est que durant l’antiquité, l’idée d’une contamination de l’homme par l’animal n’est arrivée que vers le 1er siècle. Avant, ça, personne n’avait jamais parlé de contamination de l’homme. Et à ce moment-là, certains auteurs défendaient la théorie de la contagion à l’homme, tandis que d’autres disaient que ça n’était pas le cas. Mais à aucun moment, les uns ne parlaient des autres. Tous agissaient comme si leur version de la théorie était désormais acceptée de tous, alors que ça n’était pas le cas. C’est évidemment très bizarre. Normalement, les divers auteurs auraient dû parler de la controverse.

Puis, pendant 800 ans, entre 400 et 1.200, on n’a que quatre auteurs qui parlent de la rage. Et encore, tous ne font que reprendre des écrits de l’antiquité.

La seule nouveauté qu’ils introduisent parfois, ce sont des nouveaux remèdes. Et justement, ceux-ci sont parfois délirants, même avec les critères d’avant le 20ème siècle. Par exemple, Avicenne parle de l’administration de cantharide qui serait supposée entrainer la formation de caillots de sang dans l’urine ayant la forme de petits chiens. Donc, en plus d’être peu nombreux et de ne faire que reprendre des textes anciens, leur crédibilité quand ils ajoutent quelque chose de personnel est parfois réduite à quasiment zéro.

Par ailleurs, ces auteurs sont situés soit en Asie Mineure, soit en Grèce ; c’est-à-dire des régions où il n’y avait pas ou quasiment pas de cas de rage aux 18ème et 19ème siècles. Et s’il n’y en avait pas à ce moment-là, il n’y avait pas de raison qu’il y en ait eu plus avant. Donc, on ne voit pas trop pourquoi ils en parlent. Bien sûr, ils pouvaient peut-être éventuellement le faire pour informer le lecteur cultivé de l’existence de cette maladie. Mais à l’époque, on avait tendance à faire dans l’utile et donc à parler essentiellement des problèmes touchant les populations dans la sphère où se situait le médecin. On ne parlait pas des problèmes de santé touchant spécifiquement la zone de l’Afrique subsaharienne si on était européen. Et puis, on ne voit pas comment ils pouvaient proposer de nouveaux remèdes, puisqu’ils n’avaient pas l’occasion de voir des cas de rage. Tout ça n’est pas normal, et il est donc très probable qu’il ne s’agisse que d’écrits rajoutés après-coup.

Mais en Europe, dans les endroits supposément ravagés par la maladie, il n’y a personne pour en parler pendant 800 ans. Et même plus en fait, puisqu’une bonne partie de ceux qui en avaient discuté avant étaient situés en Grèce ou en Asie Mineure. Si on tient compte de ça, on n’en parle pas pendant à peu près 1.000 ans dans les endroits les plus concernés.

On commence à en parler en Europe vers le 13ème et le 14ème siècle (toujours avec des documents citant les auteurs antiques). Mais à nouveau, on n’en parle plus pendant 2 siècles.

Et ce n’est que vers le 16ème siècle qu’on commence enfin à avoir des témoignages de première main de la part d’écrivains européens.

Et autant on peut défendre l’idée que la période 500-1200 a vu un effondrement de la civilisation, autant, pour la période 1200-1500, ça n’est plus le cas. On devrait donc avoir de nombreux témoignages directs datant de cette époque de la part de français, d’italiens, d’allemands, etc…

Tout ça, plus bien sûr tous les faits montrant que la rage est une invention, conduit donc clairement à penser que l’histoire de transmission aux humains, voire la maladie tout court a été inventée vers le 14ème ou le 15ème siècle.

Et dans la mesure où c’était l’église catholique qui avait accès aux livres et à l’écriture, il est clair que ce sont les moines copistes qui ont inventé cette histoire. Peut-être qu’ils l’ont fait sous l’impulsion du pouvoir politique. Mais comme l’église faisait partie du pouvoir politique, elle était forcément partie prenante du mensonge.

Un autre élément qui va dans le sens que c’est l’église catholique qui est à l’origine de cette histoire, c’est le fait que la rage ait été présente surtout dans les 3 grands pays catholiques (Italie, France, Espagne) et que dès qu’on s’en éloignait, les nombre de cas diminuait fortement ; pour disparaitre quasi-totalement ou même totalement dès qu’on sortait de la sphère chrétienne. Ca relie clairement l’invention à une région donnée et donc, au pouvoir politique et scientifique dominant dans celle-ci (donc, l’église catholique). Et ça relie aussi cette invention à la culture de cette région. Le rapport aux loups et autres carnivores n’était pas le même dans les régions germaniques et nordiques.

Et cette régionalisation de l’invention va aussi dans le sens de sa création vers le 15ème siècle. En effet, la réforme protestante date du 16ème siècle. Elle a rapidement gagné en Allemagne et dans les pays nordiques. Et l’Angleterre passe à l’anglicanisme en 1534. Donc, on peut penser que soit la création de la fable sur la rage est un peu antérieure au 16ème siècle, mais elle n’a pas eu le temps de bien prendre dans les pays qui sont passés entretemps au protestantisme ou à l’anglicanisme, soit elle a eu lieu au 16ème siècle, et du coup, les régions européennes passées au schisme ont dès le départ été assez peu imprégnées par la propagande des moines catholiques.

Donc, la rage était une maladie imaginaire. Et le fait que dans plus de 99 % des cas, on la « guérissait » avant que les symptômes n’apparaissent faisait que beaucoup de gens disaient l’avoir vue, mais sans jamais avoir rencontré de cas avec symptômes. Et évidemment, beaucoup de cas avec symptômes et mort étaient de purs mensonges et racontars de médecins.

Mais, il y avait tout de même des gens développant réellement des symptômes de démence plus ou moins de type rage après avoir été mordus. Et il y avait également quelques morts. D’où venaient-ils ? Eh bien comme d’habitude, essentiellement des traitements prodigués par les médecins. Le mercure et la belladone pouvaient tout à fait provoquer des symptômes de ce genre, et parfois la mort. Et d’autres soins pouvaient faire mourir les gens mordus, comme la saignée accompagnée de la prise de purgatifs, puis d’opiacés. Donc, la petite part de réalité qu’avait cette maladie venait essentiellement des traitements proposés. Et bien sûr, des traitements donnés pour d’autres maladies que la rage pouvaient créer des symptômes de ce type et on pouvait se souvenir de façon bien pratique que la personne avait été mordue 5 ans auparavant. Autrement, des personnes hystériques pouvaient parfois simuler la maladie. Des empoisonnements volontaires ou accidentels pouvaient aussi provoquer des symptômes de ce genre. Et les médecins ou les proches pouvaient euthanasier la personne mordue, par sécurité et pour abréger ses souffrances.

Donc, la rage est une maladie qui n’a jamais existé. Et elle a très probablement été inventée à la fin du moyen-âge.

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