Les vraies raisons de l’amélioration de l’espérance de vie : le fin mot de l’affaire (partie 1/3)

 

Dans mon précédent article sur les causes de l’amélioration de l’espérance de vie, j’avais souligné à la fin qu’il manquait probablement des éléments à mon analyse pour expliquer totalement le phénomène. C’était surtout la mortalité à l’âge adulte qui posait problème. La mortalité infantile s’expliquait pour l’essentiel, mais la mortalité des adultes pas complètement.

Je pensais que 15 ans de vie étaient pris par la médecine d’alors, et que les conditions de vie difficiles ôtaient dans les 20 ans. Je pensais donc qu’on aurait dû vivre jusqu’à 60 ans avec les conditions de vies de l’époque si la médecine n’avait pas ôté 15 ans de vie et la mortalité infantile 15 ou 20. On avait donc 60 ans – 15 ans ôtés par la médecine – 15 ou 20 ans ôtés par la mortalité infantile = 25 ou 30 années d’espérance de vie à l’époque.

Seulement, 60 ans d’espérance de vie, ça me semblait un peu trop court. Il me semblait qu’il n’y avait pas de raison que les gens ne vivent pas plutôt jusqu’à 70 ou 75 ans. Les conditions de vie ne semblaient pas si difficiles que ça. Il y avait donc 10 ou 15 ans qui manquaient. Et ça ne pouvait pas venir de la mortalité infantile, puisque dans mon scénario j’abaissais cette dernière à un niveau qui ne permettait qu’une très faible augmentation de l’espérance de vie. Donc, ces 10-15 ans étaient pris soit par les conditions de vie, soit par la médecine.

Seulement, je ne voyais pas comment on pouvait tirer 10-15 ans de plus d’espérance de vie via les conditions de vie. Je penchais donc plutôt pour la médecine. Mais, si la cause était celle-ci, je ne voyais pas d’où ça venait.

Mais je crois comprendre désormais de quoi il retourne. En fait, comme je le pensais, c’était bien la médecine qui était à l’origine des morts supplémentaires.

Ce qui me gênait lors de ma réflexion précédente c’était que je ne voyais pas comment les traitements médicaux pouvaient être aussi létaux, même si j’imaginais bien qu’ils l’étaient fortement. Et par ailleurs, je pensais que la médecine était quand même beaucoup moins répandue que maintenant. C’est en évoluant sur ces deux points que j’ai compris que c’était bien la médecine qui était responsable des 10-15 ans en question.

 

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Les vraies raisons de l’amélioration de l’espérance de vie : le fin mot de l’affaire (partie 2/3)

 

Les moines servaient également de médecins aux villageois

 

Un autre élément très important est que les moines prodiguaient des soins aux villageois ou aux citadins.

Pendant des centaines d’années, ce sont les religieux qui avaient tout le savoir, et logiquement aussi celui de la médecine. Certains prêtres apprenaient la médecine en plus de leur enseignement religieux. En conséquence de quoi, ils représentaient évidemment l’écrasante majorité des médecins.

Il y avait une infirmerie partout où il y avait des établissements religieux d’une taille un peu raisonnable. Et ces infirmeries, en plus de soigner les religieux, soignaient également les gens des villages alentours et les personnes de passage.

Et non seulement on soignait dans les établissements religieux, mais jusqu’au 12ème siècle, les médecins qui y étaient rattachés se déplaçaient en plus à domicile dans les villages.

Et comme des établissements religieux un peu importants, il y en avait presque partout, et que les soins prodigués par les religieux étaient gratuits pour les indigents, la population avait un large accès à la médecine par ce biais-là.

 

Type de médecine qui y était pratiqué

 

Les religieux cultivaient des plantes médicinales. C’est ce qu’on peut trouver dans ce document (intitulé : « la médecine monastique dans l’occident médiéval ») :

« L’infirmerie, quelle que soit son importance était toujours située à côté du Jardin des simples ou Herbularius, où se cultivaient les plantes médicinales. Souvent entouré de murs, il était généralement suivi du potager, ou Hortus, pour les légumes et les racines, lui-même proche du verger, pour les fruits ; car légumes, racines et fruits servaient très souvent aux moines de médicaments.

Distinct du Jardin des simples dans les grandes abbayes, mais confondu avec lui ailleurs – existait le Jardin des fleurs ; elles aussi en plus de leur rôle décoratif, ayant une action médicamenteuse. »

 

Ils pratiquaient aussi la saignée. C’est ce qu’on peut constater dans le même document :

« La deuxième structure de soins est l’infirmerie monastique. Toujours située à l’Est, « au soleil levant », elle pouvait être réduite à une petite construction où le moine infirmier entreposait les simples et fabriquait ses préparations ou au contraire – comme le prévoyait le plan architectural de l’abbaye de St Gall, avoir un dortoir et un réfectoire pour les moines malades, et à côté une domus medicorum qui comprenait une chambre réservée aux malades graves, la chambre du médecin, une pharmacie, une salle de saignées, une salle pour des bains thérapeutiques« .

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Les vraies raisons de l’amélioration de l’espérance de vie : le fin mot de l’affaire (partie 3/3)

 

Les autorités laïques proposaient également des soins

 

Non seulement les autorités religieuses proposaient des soins, mais les autorités laïques également. Vers la fin du moyen-âge, certaines villes ont commencé à ouvrir des hôpitaux municipaux. Donc, les gens ont eu accès à la médecine aussi par ce biais-là.

 

Et puis, l’ouvrage « Le service public de la chirurgie : administration des premiers secours et pratiques professionnelles à Paris au XVIIIe siècle« , écrit par Christelle Rabier en 2010, nous apprend un autre élément intéressant. A partir du 17ème siècle, les chirurgiens ont commencé à avoir l’obligation d’intervenir quand la police les réquisitionnait pour soigner un accidenté.

« La réglementation professionnelle construit à partir du XVIIe siècle le devoir de porter secours et la permanence des soins.« 

« À la fin du siècle (note d’Aixur, le 18ème), l’injonction de secourir les blessés s’étend aux noyés. En 1783, un arrêt du Parlement de Paris enjoint aux chirurgiens de « porter des secours à tous particuliers aussitôt qu’il en sera requis et notamment aux Noyés« .

Or, ces chirurgiens utilisaient la saignée pour un peu tout et n’importe quoi. Une noyade ? Le médecin faisait une saignée. Une jambe cassée ? Là encore, une saignée. Bref, pratiquement tout type d’accident était sujet à une saignée.

Forcément, ça participait au massacre par la médecine. Tant qu’on pense que les accidentés étaient laissés à eux-mêmes, on se dit que là, la cause de la mort était naturelle. Mais si les chirurgiens intervenaient et pratiquaient la saignée, là, ça change bien des choses. D’un seul coup, une bonne partie des morts par accident doit être mise sur le compte de la médecine.

D’autant plus que, concernant les blessures, même dans le cas où le médecin ne pouvait pas intervenir rapidement (par exemple en cas de neige ou autre problème limitant les déplacements) et où la personne arrivait à récupérer, elle était loin d’être sortie d’affaire. Parce que le médecin arrivait au bout du compte avec sa saignée. Donc, le risque de mourir restait important.

Bien sûr, il faut comptabiliser les personnes sauvées par les chirurgiens (ça devait arriver). Mais le nombre des tués devait largement outrepasser celui des sauvés.

En tout cas, on comprend alors pourquoi autant d’accidentés mourraient. Ça n’était pas forcément à cause de la blessure elle-même, mais à cause de l’intervention du médecin.

Bien sûr, là, ça concerne des chirurgiens probablement laïcs. Mais on peut penser que les religieux assuraient ce rôle de secours aux accidentés avant le 17ème siècle. Donc, le problème était probablement identique avant cette époque. Peut-être que les interventions étaient moins systématiques qu’au 18ème siècle, mais elles devaient être nombreuses tout de même.

 

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